Les Moëlanais
Biographies
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François Pastol (1810-1893)
Itinéraire d’un meunier à Moëlan au XIXe siècle
Laurence Penven (mars 2021)
25 janvier 1893
Au soir de ma vie, les souvenirs affluent et il me faut les dire. Je ne sais pas écrire.
Loin des moulins, je n’entends plus grincer les meules ni le grain qui s’écrase sur les carreaux de pierre. Mes journées et nuits sont désormais paisibles, dans cette maison de la rue de Braspart, au bourg de Moëlan.
Je suis né il y a 83 ans, le 25 janvier 1810, à Caudan, dans le Morbihan. Mon père y était meunier. Je suis le 4eme de la fratrie. Deux frères aînés, Pierre et André, une sœur, Marie-Laurence. Trois autres sœurs naîtront après moi. Mon frère Pierre sera meunier.
De mon enfance, je n’ai guère de souvenirs. Je n’ai pas encore neuf ans que mon père décède. Ma mère reste seule pour nous élever, mais hélas, elle aussi décède lorsque j’ai 18 ans.
Je dois gagner mon pain. Tantôt cultivateur, tantôt meunier. Alors que je suis garçon-meunier au moulin Saint-Yves à Pont-Scorff, je rencontre Marie Perrine Martelotte, avec qui je me marie en septembre 1841, à Arzano, où elle tient un cabaret. Elle aussi est orpheline, c’est un point commun. L’année suivante, nous avons la joie de voir naître Jean-Marie.
Hélas, alors que notre fils n’a que deux ans, Marie-Perrine nous quitte. Le vide créé par son décès m’est difficile à supporter. Je ne peux m’occuper de notre pauvre petit, et dois le placer dans la famille de sa mère à Arzano, alors que mon activité me retient à Quéven, où j’habite. Et, comme si cela ne suffisait pas, voilà qu’il disparaît à son tour, à peine âgé de 4 ans. C’en est trop.
Je dois essayer d’oublier. Nous sommes en 1846. Dans notre grande famille de meuniers, les nouvelles se répandent assez vite. J’ai entendu parler d’un moulin qui vient d’être acheté par un cultivateur, à Moëlan, dans le Finistère. Je décide de quitter le Morbihan pour tenter une nouvelle vie.
Je me rends donc à Moëlan, où je rencontre Noël Jaouen, qui habite à Kerchoise, chez la tante de sa femme, Elisabeth Lamarre, et qui vient d’acheter [1846-196] à monsieur de Mauduit le moulin à vent de Kerjégu. C’est un très vieux moulin et Noël Jaouen y fait son apprentissage de meunier. Assez rapidement, je lui enseigne les rudiments du métier. Noël se rend assez vite à l’évidence : le vieux moulin doit être détruit pour faire place à un moulin neuf. En 1848 les travaux de démolition sont entamés et un nouveau moulin est achevé en 1849.
Mais ce qui me retient surtout auprès de Noël, c’est la présence de sa belle-fille, Ysabelle Lamarre, auprès de qui je me sens si bien. Nous nous marions le 8 juin 1848. Ysabelle m’a dit un jour que son grand-père avait été un personnage important à Moëlan, un « curé rouge », comme on disait : curé qui avait abdiqué sous la Révolution, il était membre du directoire du district, et maire de Moëlan en 1793 (an II).
C’est l’époque où il y a de plus en plus de champs mis en culture ; de plus en plus de récoltes de céréales, blé, orge, seigle, blé noir, avoine ; mais aussi, de plus en plus de bouches à nourrir ; de plus en plus de bêtes à engraisser.
Dans les années qui suivirent mon mariage plusieurs autres moulins à vent furent construits : celui des frères Hervé à Kerroc’h, celui de Julien Fauglas à Kerduel, celui la famille André à Kerglien, et aussi la reconstruction du moulin du Hirguer, à Kersalut. Je pense donc que je vais pouvoir faire valoir mon expérience. En effet, je me suis laissé dire qu’aucun des propriétaires de ces nouveaux moulins n’est meunier.
Cultures céréalières en Bretagne au XIXe siècle
Au début du XIXe siècle les terres incultes, landes, occupent environ la moitié du territoire agricole breton. Le rendement de la culture des céréales est faible, du fait du manque de fumure (il y a assez peu de bétail), même si, à Moëlan par exemple, l’apport du goémon est appréciable. La culture du seigle et sarrasin, qui s’accommodent d’une terre pauvre, l’emporte sur celle du blé. Puis les défrichements considérables du début du XIXe siècle entraînent la progression des surfaces cultivées en céréales à partir des années 1850. Parallèlement, on assiste à une hausse importante de la population rurale.
Les cultures autres que celles du seigle et du sarrasin se développent : blé, avoine, orge.Cette conquête de nouvelles surfaces productives correspond à un processus d'intensification qui se déclenche vers les années 1850 et se termine sous cette ·forme juste avant la 1ère guerre mondiale. (1)
Seuls blé et seigle sont panifiables ; l’avoine et le sarrasin (blé noir) servent à la fabrication de bouillies, de galettes. L’orge, l’avoine aussi, sont utilisées en alimentation animale.
Le sarrasin, aussi appelé « blé noir », n’est toutefois pas une graminée mais une polygonacée.
Blé ou froment Sarrasin ou blé noir
Seigle Orge Avoine
Mais il est difficile de trouver à se loger. Une seule pièce parfois nous est proposée. Nous faisons affaire à Kervasiou, où vont naître nos deux premières filles : en 1849 Marie-Françoise, qui malheureusement ne survit pas, et l’année suivante, Marie-Isabelle.
En 1851, je me fais engager au moulin de Kerduel, en tant que valet-meunier, par Julien Fauglas qui me fait aussi partager son logement. Il me faut donc laisser Ysabelle à Kernon largoat, où nous venions d’emménager, car Julien ne peut nous héberger tous. Je me souviens assez bien de cette époque, car nous changions sans cesse de lieu d’habitation. Mais quelle n’est pas notre joie lorsque vient au monde notre fils François, en 1852 ! Deux ans après, en 1854, alors que j’habite à Kerscoazec, je signe à nouveau un bail [1854-079] pour le moulin de Kerduel, mais avec Louis Fauglas cette fois, le fils de Julien.
C’est à Kerabas que nous habitons maintenant. Même si je m’en rapproche, c’est encore assez loin du moulin. Heureusement, mes beaux -parents nous aident. La mère d’Ysabelle a pris chez elle à Clec’h Moën notre petite Marie Isabelle pour alléger le quotidien de ma femme qui attend un nouvel enfant. Marie-Anne naît en 1855.
Enfin, une opportunité se présente et nous pouvons aller habiter à Kerhérou, cette fois suffisamment près du moulin. Je n’aurai plus de longs trajets à faire été comme hiver, de jour comme de nuit, qu’il pleuve ou qu’il vente. Mais à nouveau la mort frappe à la porte et emporte notre Marie-Isabelle... A croire qu’un sort nous est jeté. Nous savons bien que nous ne sommes pas la seule famille à connaître ces malheurs, mais nous avons toujours autant de mal à les accepter.
Ysabelle va me donner encore une nouvelle fille en 1858, Marie Josèphe. La maison n’est pas bien grande, et nous y voici désormais cinq. C’est le moment où mon voisin François Hervé, dont le frère Martial est meunier, me propose de l’aider et de m’affermer le moulin qu’ils viennent de faire construire. Je crois que Martial est fatigué, ou malade. Cela mérite réflexion, car il me semble difficile de m’occuper de deux moulins, même s’ils sont seulement éloignés de quelques centaines de mètres. C’est alors que - je ne sais plus qui de nous deux en a eu l’idée - , il est décidé, entre Louis Fauglas et moi, de nous associer pour créer une société d’exploitation [1859-226] des deux moulins. Je trouve que c’est une bonne idée. J’accepte donc le bail du moulin des frères Hervé, tout en conservant celui du moulin de Louis Fauglas. Je fais confiance à Louis, il a eu la chance de pouvoir suivre un peu d’études, et j’ai quelques économies ; je viens même de prêter 300 francs à un voisin de Kerduel. Mon travail consistera à faire tourner les deux moulins, en entretenir les mécanismes et y faire les réparations courantes. Louis se chargera de trouver les clients et de transporter les grains, puis de faire les livraisons de farine. Nous devrons pour cela acquérir une charrette et un cheval. Nous sommes, je crois, en 1859.
Peu de temps après, Martial Hervé décède. Et, il faut bien le reconnaître, les affaires de mon association avec Louis Fauglas ne marchent pas si bien que prévu. Notre association est rompue et les baux des moulins résiliés. Je vais conclure un bail avec Guillaume Le Maoult, de Keranguen en Clohars, qui vient de faire reconstruire son moulin, au Hirguer. J’ai trouvé une petite maison à Kersalut (en Clohars) où mon beau-père, Noël Jaouen, malade, vient nous rejoindre sur la fin de sa vie [1864-118]. Nous sommes donc six. Noël décède à l’automne 1864 ; Ysabelle a bien du mal à s’en remettre, elle l’aimait beaucoup.
En 1866, ma dernière fille, Marie Françoise, voit le jour. Nous voilà à nouveau six. Pendant presque vingt ans, nous allons rester au moulin du Hirguer. C’est le moulin où je suis resté le plus longtemps.
Mais en 1880 le fils de Guillaume Le Maoult, François, vend le moulin à Joseph Tanguy de Saint-Thamec, car il ne rapporte plus suffisamment. Je crois qu’il n’est vendu que 500 francs. Et j’ai appris que le moulin à vent de Chef-du-bois, vendu la même année est parti à 1800 francs !
Nous devons partir et changer de moulin encore une fois. Direction le moulin à eau appelé le Moulin Marion qui appartient à Monsieur Guillet et tout près duquel il vient de faire construire un moulin à vent, en 1879. Me voici encore une fois avec deux moulins, dont un moulin à eau, au fonctionnement différent. Mais le réglage des meules, leur piquage, l’entretien, sont toujours les mêmes. Et les deux moulins ne fonctionnent pas souvent en même temps ; le moulin à vent vient en complément de l’autre pendant la belle saison, quand il n’y a plus assez d’eau pour alimenter la chute qui fait tourner la pirouette.
C’est tout de même beaucoup pour moi, qui me fais âgé ; j’ai alors 71 ans, et nous sommes un peu trop nombreux au moulin : nos trois filles vivent avec nous ainsi que notre fils, sa femme et leurs trois enfants. François n’est pas meunier, il n’a pas voulu faire le même métier que moi, il est boîtier à l’usine. Il n’a peut-être pas tort.
A l’approche de mes 80 ans, Ysabelle et moi quittons le moulin pour nous rapprocher du bourg de Moëlan. C’est depuis cette pièce du quartier de Braspart que je raconte ces souvenirs.
J’ai fait tourner 4 des 8 moulins à vent de Moëlan, sans que jamais aucun ne m'appartienne.
(1) Pierre Daucé, Yves Léon. L’évolution de l’agriculture bretonne depuis 1850 : quelques données. Sciences Agronomiques Rennes, 1982, 96 p.
François Pastol, souvent nommé Pasterol dans divers actes notariés, est mort au bourg de Moëlan, rue de Braspart, le 3 octobre 1893. Sa femme, Ysabelle Lamarre, décède en 1907. En 1906 elle est domiciliée rue de la Place, chez sa fille Marie-Anne, couturière.
Ce récit de la vie de François Pastol a été possible grâce à divers documents déposés aux Archives départementales du Finistère que Philippe Dréno a bien voulu nous transmettre après ses innombrables visites aux Archives. Qu’il soit ici chaleureusement remercié.
- Recensements de population des communes d’Arzano, Clohars-Carnoët et Moëlan-sur-mer
- Actes de l’étude de Me Barbe (1816-1897), notaire à Moëlan
- Cases des impôts sur les propriétés bâties (1882 à 1911)
- Matrices du foncier non bâti (1834-1914)
- Actes de naissances, mariages et décès (CGF - BMS des AD)