Les Moëlanais
Au fil des années
Moëlan au fil des jours
8 mars 1882 (Le Finistère)
Moëlan. - Une querelle survenue, il y a quelques jours, entre des jeunes gens de la commune de Moëlan, a eu pour conséquence la mort de l'agresseur.
Le 28 février, il y avait " un repas de charroi " chez Mestric, à Keranguen. Vers 9 heures du soir, six des convives prenaient ensemble la route de Belon ; c'étaient : les frères Orvoën, François et Louis, les frères Caëric, Jacques et François, Cordonner et Salaün, François, domestique à Kerancalvez.
On venait de dépasser l'auberge du Dragon vert, Lorsque Salaün précipita sa marche, rejoignit Jacques Caëric qui marchait en avant, le saisit à la gorge sans mot dire, le terrassa et le frappa à coups de pied.
Louis Caëric, accouru au secours de son frère, fut à son tour aux prises avec l'agresseur, qui lui mordit le pouce et le frappa violemment à la tête avec une pierre.
Jacques Caëric ne tarda pas à se relever, et lança à son agresseur deux coups de pied dans le bas-ventre. Les deux Orvoën et Cordonner étant parvenus à séparer les deux combattants, les frères Caëric continuèrent leur chemin.
Mais Salaün ne put regagner Kerancalvez qu'avec le secours de ses compagnons, après un repos assez prolongé dans la maison du sieur Corn, qui se trouve sur la route, et mourut le lendemain.
Il était âgé de 23 ans.
15 mars 1882 (Le Finistère)
Moëlan. - Le dimanche 26 février, Marie Louise Le Goff, femme Couliou, âgée de 59 ans, demeurant à Lande Lonjou, se rendait à Moëlan pour assister à la messe. Il tombait une pluie abondante dont le bruit l'empêcha d'entendre la voiture de M. Thirion de Quimperlé qui arrivait au trot derrière elle.
Elle continuait à tenir le milieu de la route, malgré les cris du conducteur, lorsqu'elle fut renversée et piétinée par le cheval.
La victime de cet accident a de graves blessures au côté droit et à la tête.
12 avril 1882 (Le Finistère)
Le gouvernement républicain ne recule devant aucun sacrifice pour répandre l'instruction dans les campagnes.
On sait que les crédits ont été accordés par le ministère de l'instruction publique pour la construction d'écoles de hameaux dans notre département.
Dix-huit de ces écoles vont être construites sur le territoire de l'arrondissement de Quimperlé, dans les localités suivantes :
Moëlan. - Sections de Saint-Pierre, de Brigneau et de Saint-Thamec.
19 avril 1882 (Le Morbihanais)
Vol à l'église de Moëlan. - Nous apprenons que pendant la semaine sainte, des voleurs se sont introduits de nuit dans l'église de Moëlan : ils ont forcé la porte de la sacristie, où ils ont ouvert avec un ciseau à froid un pupitre en bois très-fort qui contenait de 4 à 500 fr. Cette somme a été enlevée jusqu'au dernier sou.
La gendarmerie a commencé une enquête. Aboutira-t-elle un jour ou l'autre à quelque chose ? Ces braves gendarmes seront-ils plus heureux que lors des vols commis à Sainte-Croix et à N.-D. de Quimperlé ? Espérons contre toute espérance.
On suppose que les voleurs sont toujours les mêmes.
26 avril 1882 (Le Finistère)
Audience du 19 avril.
5è Affaire. - Caëric Jacques, 19 ans et Caëric François, 26 ans, cultivateurs nés et demeurant à Moëlan, sont accusés d'avoir :
Le 28 février 1882, en la commune de Moëlan, volontairement porté des coups et fait des blessures au nommé François Salaün, lesquels coups portés et blessures faites sans intention de donner la mort l'ont pourtant occasionnée.
Le 28 février dernier, vers dix heures du soir, plusieurs jeunes gens de la commune de Moëlan revenaient ensemble d'un repas qui leur avait été offert par un fermier des environs. En avant marchaient François Salaün, domestique, âgé de 23 ans et Jacques Caëric. Derrière eux, à une quinzaine de pas, suivaient François Caëric, les deux frères Orvoën et Cordonner Yves, chez lequel Salaün servait en qualité de domestique.
Ces derniers entendirent tout à coup Jacques Caëric appeler au secours. Son frère aîné accourut aussitôt et, lorsque ses compagnons l'eurent rejoint, ils virent les deux frères Caëric porter des coups de pied à Salaün qu'ils maintenaient renversé contre le talus du fossé bordant la grande route.
Orvoën François et cordonner s'interposèrent immédiatement pour mettre fin à cette lutte et séparer les combattants. Ils ne purent toutefois empêcher François Caëric de porter à Salaün de violents coups de pied dans l'abdomen.
A peine délivré de ses deux adversaires, Salaün s'affaissa sur lui-même et se plaignit de ressentir dans le bas-ventre une douleur très vive qui le mettait dans l'impossibilité de marcher. Cordonner et Orvoën durent le soutenir pour le ramener chez lui. Dans la nuit du 1er au 2 mars, il succombait. L'autopsie démontra qu'il fallait attribuer sa mort à une péritonite déterminée, soit par une pression violente exercée sur l'abdomen, soit par les coups de pied qu'il avait reçus.
D'après le récit de Jacques Caëric, à un moment donné et sans aucune provocation, Salaün se serait précipité sur lui et l'aurait saisi à la gorge. Salaün, qui passait pour être querelleur et d'humeur batailleuse, était muni d'une espèce de casse-tête, qui fut trouvé le lendemain, sur le lieu de la lutte.
Quant à François Caëric, il porte à l'un de ses pouces une morsure profonde faite par la victime.
Le verdict du jury est négatif sur les questions qui lui sont soumises. - En conséquences les frères Caëric sont acquittés.
Moëlan. - Construction de 3 écoles de hameaux.
A Moëlan, section de Saint-Pierre, 1 école estimée à 14 393,85 frs.
A Moëlan, section de Brigneau, 1 école estimée (réservée).
A Moëlan, section de Saint-Thamec, 1 école estimée à 13 814.85 frs.
26 avril 1882 (Le Morbihanais)
Un accident qui a failli causer mort d'homme est arrivé vendredi dernier à Quimperlé.
M. Piriou, ancien retraité et garde particulier à Quillimarch, en Moëlan, avait acheté au marché une vache au sieur Guiban, de Riec, lequel ne le prévint pas qu'elle était fort méchante. Le sieur Piriou s'en retournait donc chez lui, suivi de sa bête, quand arrivé devant la gare, elle devint furieuse, et le renversa en lui faisant une blessure à la tête et aux reins. Puis elle se précipita sur plusieurs personnes qu'elle blessa, entre autres un enfant de dix ans, le jeune Gallic.
La gendarmerie prévenue est arrivée et d'un coup de fusil a abattue la bête.
16 septembre 1882 (Le Finistère)
Par arrêté de M. le Préfet en date du 15 septembre, sont nommés instituteurs-adjoints :
M. Quéau Jean Marie, frère Séricien, à Moëlan.
11 octobre 1882 (Le Morbihanais)
Mardi dernier, Mme la vicomtesse de Tréveneuc a donné une grande fête champêtre à Plaçamen à l'occasion du mariage de sa fille avec M. le comte de Beaumont. Plus de 1200 invités, la plupart de Moëlan, ont assisté à cette réunion favorisée par un soleil splendide malheureusement trop rare depuis quelque temps ; aussi les danses au biniou se sont elles prolongées jusqu'à la nuit sur la grande pelouse devant le château.
Chacun a emporté le meilleur souvenir de l'aimable accueil des gracieuses châtelaines et du jeune marié qui retrouve déjà dans le pays les sympathies qui entouraient le regretté M. de Tréveneuc.
25 octobre 1882 (Le Finistère)
Audience du 17 octobre.
5è Affaire. - Tanguy Jean Marie, âgé de 42 ans, journalier, demeurant à Moëlan, est accusé d'avoir, en la commune de Riec, soustrait de l'argent au préjudice des époux Le Noach, à l'aide d'escalade et de fausse clef.
Le 2 juillet 1882, Jean Marie Tanguy, journalier à Riec, profita de l'absence de son oncle, le sieur Le Noach, pour pénétrer chez lui en escaladant la fenêtre du grenier. Il ouvrit, à l'aide d'une fausse clef, le tiroir d'une table et s'empara d'une somme de 190 fr.
Le 10 juillet, la femme de l'accusé, avertie ds soupçons qui pesaient sur son mari, fouilla les vêtements de ce dernier et y trouva une somme de 100 fr., qu'elle restitua.
Jean Marie Tanguy a fait des aveux. Il prétend toutefois n'avoir pris chez son oncle qu'une somme de 100 fr. Sa réputation, au pont de vue de la probité, est détestable.
Reconnu coupable avec admission de circonstances atténuantes, Tanguy est condamné à deux ans de prison.
25 octobre 1882 (Le Morbihanais)
Jeudi dernier, vers 7 heures du soir, le sieur Guillou, de Kerconstance, en Moëlan, s'en retournait chez lui, venant de Quimperlé, avec une voiture chargée de apille et attelée de deux chevaux. S'étant envivré et ne pouvant plus conduire sa voiture, il l'abandonna sur la route et resta couché sur un fossé. Les chevaux livrés à eux-mêmes et n'étant pas dirigés, s'embourbèrent dans une mare d'eau et la voiture chavira entraînant le cheval de limon qui se noya. Guillou retrouvé à 5 ou 600 mètres de là, fut averti de ce qui se passait, parut peu surpris, puis se contenta de dételer le cheval de trait et le ramena chez lui laissant le cheval mort et la charette dans le trou d'eau. Contravention a été dressée contre Guillou.
8 novembre 1882 (Le Finistère)
Actes officiels.
Par arrêté de M. le préfet en date du 6 novembre, M. le maire de Moëlan est suspendu de ses fonctions.
Le motif de cette mesure est que M. le maire de Moëlan, au lieu d'informer l'autorité judiciare de délits ou de contraventions commis par des habitants de sa commune, s'est substitué à cette autorité en prononçant des condamnations et en négociant des transactions entre partis.
15 décembre 1882 (Le XIXè siècle)
Une dépêche de Quimperlé (Finistère) annonce que des troubles ont éclaté avant-hier à Moëlan, dans l'après-midi.
L'école dirigée par les frères avait été laïcisée dans la matinée ; les élèves, à l'instigation des frères et des partisans du maire suspendu, M. Orvoen, ont pris part à un charivari.
L'instituteur, qui avait déjà pris possession de l'école, a été, de plus, dans la nuit, l'objet d'une attaque violente. L'école a été reprise par la force et l'instituteur blessé.
On a dû requérir la gendarmerie pour rétablir l'ordre.
15 décembre 1882 (La Justice)
La liberté des cléricaux
C'est Louis Veuillot qui, dans une heure d'abandon, a fait aux républicains, à propos de la liberté, cet aveu dépouillé d'artifice : " Nous vous la demandons au nom de vos principes, et nous vous la refusons au nom des nôtres. "
C'est évidemment là la pure doctrine de l'ultramontanisme, mais les cléricaux ne commettent pas tous les jours l'imprudence de la proclamer avec cette désinvolture. [...] On a vu lors de la discussion de la loi d'instruction laïque comment ils comprenaient la liberté d'enseignement, et les faits qui viennent de se passer dans le Finistère, à Moëlan, nous les montrent une fois de plus sous leur vrai jour.
Des désordres viennent de se produire dans cette commune à l'occasion de la laïcisation des écoles. Ils ont dû être d'une certaine gravité, puisqu'ils ont nécessité l'intervention de la gendarmerie. Nous manquons encore de détails, mais nous savons néanmoins que les élèves ont attaqué l'instituteur laïque, et qu'il y a eu des coups de donnés. Naturellement les élèves, qui ne se font qu'une idée très imparfaite de la laïcité et qui n'ont pas pour la loi du 28 mars 1882 l'horreur sacrée de MM. de Ravignan et de Gavardie, ont agi à l'instigation des frères. Le télégraphe nous apprend que ce sont les "gas" de Moëlan contre l'instituteur installé par le gouvernement.
A la bonne heure ! Nous reconnaissons bien là l'esprit de Basile et de Tartuffe. [...]
En attendant, les congréganistes font de leur mieux. Nous ne savons si les frères de Moëlan, obéissent à un mot d'ordre, et si les 89 écoliers, les pronunciamientos de Gavroches, les pugilats d'école primaire font partie du fameux programme de résistance, mais il est impossible, dans tous les cas, de jeter plus délibérément le masque. [...]
On pouvait croire que si les "chers frères" laissaient la jeunesse dans cette ignorance crasse qui leur a valu si justement leur surnom, ils leur inculpaient du moins les préceptes de la religion de paix et d'amour. Voilà que nous les trouvons transformés en professeurs de boxe. Peut-être apprennent-ils à leurs élèves la savate et l'escrime du bâton. Ce qui est certain, c'est que nous sommes loin de la doctrine qui conseillait de tendre l'autre joue. Les congréganistes de Moëlan dédaignent même les péripéties trop prolongées de la lutte à main plate, et leurs élèves y vont carrément, à la mode de Bretagne, tête te poing en avant. Il faut faire intervenir la gendarmerie pour avoir raison de ces écoliers forains, et le soir, quand Pandore, qui les croit couchés, est parti, ils font un charivari dans les rues de la ville.
Nous n'attachons pas, bien entendu, plus d'importance qu'il ne faut, à cette insurrection du second âge. Il est évident que les jeunes manifestants de Moëlan n'y penseront plus dans huit jours, et ce n'était pas la gendarmerie, c'étaient les pompiers du maréchal Lobau qu'il aurait fallu pour les calmer. Mais ce qui est important en cette affaire, c'est l'intervention des frères. [...]
Léon Millet
16 décembre 1882 (Le Finistère)
Par arrêtés préfectoraux des 11 et 12 décembre, sont nommés :
Instituteur suppléant à Moëlan, M. Castel Alain.
Moëlan. - Une sorte d'émeute a éclaté lundi à Moëlan. Voici les faits qui lui ont servi de prétexte.
La commune de Moëlan avait un instituteur congréganiste que son âge et ses infirmités rendaient incapable d'exercer ses fonctions. L'administration demanda au supérieur de l'institut des frères de lui proposer un autre instituteur. L'institut congréganiste, qui affecte volontiers d'en prendre à son aise avec l'autorité, ne répondit pas ; les semaines se succédèrent aux semaines et ce silence persista. Cependant l'administration, malgré sa patience, ne pouvait maintenir indéfiniment une situation dont les enfants de l'école étaient victimes.
M. le Préfet a pris, à la date du 7 décembre, l'arrêté suivant :
" Nous Préfet du Finistère,
" Vu la loi du 15 mars 1850 et la loi du 10 avril 1867 ;
" Vu le rapport de M. l'Inspecteur d'académie ;
" Considérant qu'il résulte du rapport sus visé que M. Kervennic, en religion frère Thénénan, instituteur public de la commune de Moëlan se trouve, par suite de son état de santé, dans l'impossibilité d'exercer utilement ses fonctions ;
" qu'il y a lieu, provisoirement et en attendant la nomination du titulaire définitif, de pourvoir d'urgence au service de l'enseignemant dans cette commune par la nomination d'un instituteur suppléant ;
" Arrêtons :
" Article 1er. - M. Castel est nommé instituteur suppléant à l'école publique de la commune de Moëlan en remplacement de M. Kervennic, en religion frère Thénénan.
Art 2. - M. Castel, instituteur suppléant recevra l'intégralité du traitement attribué à son prédécesseur.
Art 3. - Monsieur l'inspecteur d'académie est chargé de l'éducation du présent arrêté.
Ainsi M. Castel était nommé à titre provisoire. Il n'était donc pas question de laïciser l'école, mais seulement de pourvoir à un besoin urgent.
M. Castel fut installé lundi. Sur le refus de l'adjoint faisant fonctions de maire, de fut l'inspecteur primaire qui procéda à cette installation.
Le soir, comme le nouvel insituteur sortait de la mairie, il se vit assailli par une cinquantaine d'individus ivres qui osèrent, les braves, engager la lutte contre un homme seul ! M. Castel fut insulté, bousculé et frappé. Il réussit enfin à échapper à ses agresseurs et à gagner son logement. On l'y suivit, en menaçant d'enfoncer la porte ; mais il lui suffit de parler de son revolver pour transformer en une volée de moineaux cette bande de fauves.
Pendant la nuit, on proféra contre l'instituteur des menaces de mort, et le lendemain, la bande, raffermie par de copieuses rasades, - gratuites comme la veille - et l'adjonction de nouvelles recrues, revint bravement à la charge. Mais l'autorité avait pris des mesures : la fête fut gâtée par l'arrivée des gendarmes. Personne alors n'osa bouger, comme bien on pense.
La justice s'est transportée à Moëlan, des arrestations ont eu lieu et une enquête est ouverte.
Il est malheureusement probable qu'on n'atteindra pas les organisateurs du complot. Ces malfaiteurs hypocrites se tiennent dans la coulisse, laissant seuls exposés aux coups les ignorants dont ils ont fait leurs instruments.
Espérons du moins que cdeux-ci, une fois les fumées de l'eau-de-vie dissipées, comprendront tout l'odieux du rôle qu'on leur a fait jouer.
L'honnête population de Moëlan, pour montrer combien cette bande d'ivrognes stipendiés est loin de traduire ses sentiments, a continué d'envoyer ses enfants à l'école.
Une centaine d'élèves ont repris leurs études.
Nous félicitons vivement M. Castel du sang-froid dont il a fait preuve dans cette circonstance critique.
16 décembre 1882 (Le XIXè siècle)
A la suite de l'échauffourée d'hier, dans la commune de Moëlan, contre l'instituteur laïque, le procureur de la République et le juge d'instruction se sont transportés dans la commune avec la gendarmerie.
Plusieurs arrestations ont été opérées.
L'ordre est rétabli.
20 décembre 1882 (Le Finistère)
Un de nos amis nous adresse le récit détaillé qu'on va lire de l'affaire de Moëlan :
Il y a six semaines, M. le Préfet du Finistère a invité le supérieur général des Frères à remplacer à Moëlan le directeur de l'écoe, qui est infirme et fatigué, par un frère capable de remplacer plus utilement ses fonctions.
Le 7 décembre courant, le supérieur général n'ayant fait aucune proposition, M. le Préfet s'est décidé à nommer à Moëlan un instituteur suppléant pour remplacer le frère directeur devenu incapable et il a confié cet emploi à M. Castel, instituteur de Trégunc, pourvu du brevet supérieur et du certificat d'aptitude pédagogique, un des plus remarquables instituteur du département.
M. Castel, il est vrai, est laïque, mais M. le Préfet ne pouvait faire un choix d'un congréganiste, puisque les instituteurs de cette dernière catégorie doivent être présentés par leurs supérieurs généraux, suivant l'article 31 de la loi du 15 mars 1850.
M. l'Inspecteur primaire de Quimperlé a été chargé d'accompagner M. Castel à Moëlan, de le faire installer, et au besoin de l'installer lui-m^me dans ses fonctions.
Le 11 courant, à 9 heures du matin, il s'est présenté, accompagné de M. Castel, chez l'adjoint Scoazec, qui remplit les fonctions de maire à la place du fameux M. Orvoën, révoqué ; il lui a remis une lettre de M. le Préfet l'invitant à installer l'instituteur suppléant, et il l'a prié de l'accompagner à la mairie pour prendre connaissance de l'arrêté de nomination, recevoir des explications, s'il y avait lieu, procéder à l'installation.
L'adjoint-maire s'y est nettement refusé. Alors M. l'Inspecteur a usé de ses pouvoirs : il a installé M. Castel et l'a invité à prendre direction de la première classe. Le frère directeur était ainsi remplacé provisoirement. Quant au frère adjoint, chargé de la seconde classe, rien ne s'opposait à ce qu'il restât en fonctions ; mais il s'y est refusé et a quitté sa classe sur-le-champ. M. l'Inspecteur, qui avait prévu le cas, a installé dans la deuxième classe un adjoint dont il s'était fait accompagner, M. Alexandre, premier adjoint à Quimperlé, muni aussi de son brevet supérieur. Ainsi, à dix heures du matin, deux instituteurs laïques se trouvaient ainsi à la tête des classes. L'école a continué jusqu'à 11 heures, moment de la sortie.
A 11 h. 1/4 une trentaine de bambins, obéissant à un mot d'ordre, ont commencé à pousser des cris en face de l'école, pendant que d'autres rentraient en classe pour y prendre leurs cahiers et leurs livres ; les uns et les autres, encouragés par cinq ou six mégères, ont alors fait un charivari assourdissant. Peu à peu ils sont entrés dans la cour et ont envahi les vestibule de l'école en hurlant et en sifflant.
M. l'Inspecteur a fait évacuer les lieux et est rentré à l'école pour continuer le récolement du mobilier scolaire. Les deux instituteurs, qui étaient restés dans la cour, ont été atteints par des pierres lancées de la rue. Vers 1 h. 1/2, les cris ont diminué et ont cassé à 2 heures.
Nous devons constater que les Frères ont assisté à cette scène sans dire un mot ni faire un geste de désapprobation.
Le reste de la soirée a été calme. Mais des faits plus graves se sont produits vers 5 h. 1/2, immédiatement après le départ de M. l'Inspecteur primaire.
Une troupe d'environs 50 paysans, ivres la plupart, venus de la section du maire, a envahi la maison de M. Barbe, délégué cantonal.
De là elle s'est portée devant la maison d'école en vociférant. L'instituteur, qui sortait pour aller dîner, a été entouré, bousculé, saisi et frappé à coups de poing ; heureusement une porte s'est ouverte pour le recevoir ; autrement il eût été tué par ces furieux.
La bande a parcouru ensuite les rues jusqu'à 10 heures du soir, criant : A bas les laïques, et ne s'arrêtant que pour boire dans les auberges.
On a vu les prêtres de la paroisse se promenant d'un air satisfait ; il y avait de quoi !
Le lendemain matin, mardi, les instituteurs ont ouvert leurs classes à l'heure habituelle. Vers 9 heures, un rassemblement de paysans a commencé à se former ; à 10 heures, il y en avait une trentaine, auxquels s'est joint M. de Beaumont. A 10 h. 1/2, M. l'Instecteur primaire a traversé plusieurs fois les rangs sans qu'ils ouvrissent la bouche.
Vers midi 1/2, M. Alexandre est allé de sa pension à l'école ; à peine était-il dans le vestibule de la maison commune qu'il a été entouré par des paysans dont le nombre s'est elevé en un instant à environ 150. Ils voulaient les clefs des classes sous prétete de prendre les livres de leurs enfants, mais en réalité pour empêcher les instituteurs de continuer l'école.
Un nommé Guillet, sorte d'avocat de campagne, lui a fait un discours, qui peut se résumer ainsi : " Vous êtes un intrus, nous ne voulons pas d'école athée, et si vous ne livrez pas les clefs, votre vie est en danger, etc...
Le directeur, M. Castel, qui est arrivé ensuite, a dû subir une harangue semblable.
Les deux instituteurs se sont dégagés, non sans peine, en annonçant qu'il n'y avait pas d'école le soir, à cause du tapage fait dans le voisinage des classes. La foule a applaudi et l'histrion de la troupe s'est écrié : " Pas d'école ce soir, ni demain, ni jamais ; ils vont s'en aller. "
A peine les instituteurs étaient rentrés chez eux que leur chambre a été envahie par une bande de femmes, conduites par la fille du maire, jeune personne de 18 ans. Elle voulait les clefs de l'école pour y prendre les fournitures de ses enfants !
Ne pouvant s'en débarrasser, M. Castel est descendu dans la cuisine, suivi par la meute hurlante, puis, profitant d'un moment où l'escalier était libre, il est remonté lestement chez lui et s'y est barricadé ; les commères, se voyant jouées, ont poussé des cris sauvages et se sont installées au rez-de-chaussée pour attendre leur proie.
Me Guillet est venu ensuite essayer de faire sortir les instituteurs et de s'introduire chez eux ; sa bande le suivant à distance. M. Castel a refusé de le recevoir et a déclaré très haut qu'il ferait feu sur toute personne qui tenterait de s'introduire chez lui par force. Cette menace a calmé les mutins, qui sont allés rejoindre les femmes et vider des chopines ; il y avait environ 200 personnes dans la maison et dans les alentours.
Deux gendarmes de Pont-Aven sont arrivés à 5 h. 1/2 et cinq de Quimperlé à 6 h. 1/2. La foule s'est alors calmée et la tranquilité était rétablie vers 10 heures du soir.
Le mercredi, deux gendarmes se sont portés à la mairie à 7 h. 1/2 du matin. A 8 heures, l'Inspecteur primaire a conduit les instituteurs à l'école ; MM. de Beaumont et Guillet se trouvaient déjà dans la maison commune avec une quarantaine de paysans, la plupart tenanciers ou ouvriers du premier. La bande est entrée dans le vestibule à la suite des élèves.
M. de Beaumont s'est plaint à M. l'Inspecteur de la violence que la présence des instituteurs laïques faisait aux sentiments chrétiens des habitants de la commune. L'inspecteur lui a répondu de porter ses plaintes au supérieur général des frères qui avait mis le préfet dans la nécessité d'assurer le service de l'école par la nomination d'un maître valide.
Me Guillet a ensuite commencé une harangue bouffone que la gendarmerie a interrompue en faisant évacuer les issues de la maison.
La foule a augmenté dans les rues et surtout dans les auberges sans cependant crier ni menacer comme la veille. M. Lorois, candidat perpétuel à la députation, et le fameux abbé Canivet, de Clohars-Carnoët, sont venus dans l'après-midi rejoindre les de Beaumont, Guillet et Orvoën. Mais l'aspect des tricornes avait attiédi la fougue des émeutiers qui regagnaient leurs pénates, un à un, l'oreille basse, aussitôt qu'ils ne se voyaient plus surveillés par leurs maîtres et seigneurs. L'arrivée, vers 3 heures du soir, de M. le procureur de la République de Quimperlé et de M. le jude d'instruction a accéléré la débandade. A 5 heures, la tranquilité était rétablie et la nuit a été parfaitement calme. Le jeudi, les instituteurs sont allés passer la journée à Quimperlé ; les hurleurs n'ont pas peru au bourg. Dans la matinée les gendarmes ont procédé à l'arrestation des frères Noël, deux des hommes qui avaient frappé l'instituteurs, et les ont conduits à la prison de Quimperlé.
Vendredi 15. - Calme complet. MM. Beaumont, Guillet et Orvoën n'ont pas paru.
Samedi 16. - Il devait y avoir une manifestation, à l'occasion de la remise, par le frère Thénénan, à M. Castel, des clefs du local personnel de l'instituteur.
A midi moins 1/4, les trois vicaires de Moëlan sont allés se placer sur le perron de la maison commune.
A midi, l'inspecteur primaire et l'instituteur se sont rendus dans la salle à manger du frère Thénénan ; celui-ci a remis les clefs, et M. Castel en a donné un reçu. Il n'a pas été échangé plus de 20 paroles.
Pendant ce temps deux gendarmes étaient arrivés dans la cour extérieure de l'école.
Les vicaires n'avaient pas fait un mouvement. L'opération de la remise des clefs achevée, l'un des vicaires a dit : " Allons, mon cher frère, puisque vous avez fini, allons-nous-en. " Prêtres et frères sont partis sans que personne ait songé à leur faire cortège, ni à les saluer d'un mot de regret. Le reste de la journée a été tranquille.
Dimanche 17. - Le lendemain matin, le Conseil minicipal s'est réuni, à 8 heures du matin, pour délibérer sur le choix qu'il convenait de faire de maîtres laïques ou congréganistes pour diriger l'école, conformément à l'ordre de M. le Sous-Préfet, en date du 7 décembre courant. On devine quelle a été la délibération prise, les termes d'ailleurs en avaient été arrêtés la veille, dans une réunion, entre les fortes têtes de Moëlan et lieux voisins.
On comptait sur des sermons fortement épicés et sur une nouvelle poussée d'ivrognes.
Cinq gendarmes étaient arrivés à 6 heures du matin : le coup a raté. Aux messes de 7 et de 8 heures, pas un mot ; à celle de 11 heures, quelques mots sur les devoirs de donner aux enfants une instruction chrétienne.
Vers midi, un architecte est venu étudier la construction d'une école libre. A la bonne heure ! Voilà comment nous entendons la vengeance.
Lundi soir, il y avait à l'école 48 élèves présents sur 217 inscrits ; mardi 15 et samedi 108.
Les esprits sont calmes maintenant ; et la tragi-comédie des potentats Moëlanais est finie.
Les barriques d'eau-de-vie seraient inutiles aujourd'hui à causer des désordres dans la rue. S'il y a du bruit dans les auberges, c'est entre larrons ; ils s'accusent mutuellement de la dégoûtante besogne qu'ils ont faite, et pas un ne songe à recommencer.
Un devoir s'impose aujourd'hui à l'autorité : c'est de rechercher non seulement les instruments, mais surtout les fauteurs de troubles, des désordres, des brutalités ; c'est de rechercher ceux qui ont payé les barriques d'eau-de-vie bues, ceux qui ont donné des conseils dans la rue et des ordres dans les cabarets, ceux qui, ne pouvant prendre une part active au tumulte, avaient envoyé leurs bonnes et leurs domestiques pour y pourvoir.