La justice
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La justice de paix
Audience publique du quatorze novembre mil huit cent quatre-vingt-quatorze.
Entre : Paul Gauguin, artiste peintre à Pont-Aven, demandeur, Me Piédoye, avoué, Me de Chamaillard, avocat.
Et : Mlle Marie Henry, sans profession demeurant à Porz-Moëlan, en Moëlan, défenderesse, Me Ruban, avoué.
Le tribunal, après avoir entendu dans la précédente audience les avoués des parties dans leurs conclusions, Me de Chamaillard, avocat du barreau de Châteaulin et du demandeur et Me Ruban, avoué de la défenderesse, dans leurs plaidoiries, avoir renvoyé à ce jour pour prononcer son jugement et après avoir délibéré :
- Attendu que Gauguin, artiste peintre revendique comme lui appartenant divers dessins et peintures et notamment une sculpture en bois représentant un buste d’homme, laissés par lui en dépôt chez Mlle Henry, tenant l’Hôtel de la plage au Pouldu,
- Attendu que la demoiselle Henry, défenderesse dénie les faits articulés par Gauguin et prétend que, quant au buste sculpté ne portant aucune signature, c’est M de Haan, son pensionnaire, qui lui a fait don de ce buste le représentant,
- Attendu que son aveu est indivisible ;
- Attendu qu’elle invoque en sa faveur les dispositions de l’article 2279 du code civil qui dispose qu’en fait de meubles possession vaut titre ;
- Attendu que c’est donc à Gauguin qu’il appartient de faire preuve de la convention, c’est-à-dire, du dépôt,
- Attendu qu’il offre de faire cette preuve par témoins en se fondant sur les dispositions de l’article 1950 du code civil relatif au dépôt nécessaire ; qu’il importe donc d’examiner quelle est la nature du prétendu dépôt ;
- Attendu, en fait, qu’il résulte des documents de la cause que Gauguin a séjourné à l’Hôtel de la demoiselle Henry du deux octobre 1889 au sept novembre 1890, époque à laquelle il est parti pour Paris et ensuite pour Taïti [Tahiti], sans esprit de retour.
- En droit : attendu si l’article 1952 du code civil considère comme nécessaire le dépôt fait par un voyageur au moment de son arrivée dans un hôtel, d’objets mobiliers lui appartenant, il n’en est plus de même lorsqu’un voyageur ou pensionnaire ayant séjourné pendant longtemps dans un hôtel, part en laissant quelques objets mobiliers ; que dans ce cas, en effet, la nécessité du dépôt n’existant plus, le contrat se change en dépôt volontaire et le dépositaire est en faute de n’avoir pas fait constater la convention par écrit.
- Attendu que la prohibition de la preuve testimoniale est la règle ; que si par exception la preuve testimoniale est admise pour dépôts volontaires, ce n’est que dans le cas où la valeur des objets revendiqués est inférieure à cent cinquante francs.
- Attendu que le demandeur en portant devant le Tribunal civil de première instance son action en revendication, a déterminé lui-même une valeur supérieure à deux cents francs pour les objets revendiqués ; car, sans cela, comme il s’agit d’une action personnelle et mobilière, il eût saisi de la contestation le Juge de paix du canton de la défenderesse ;
Que l’objet de la contestation étant donc supérieur à cent cinquante francs, la preuve testimoniale est inadmissible.
Par ces motifs, statuant en matière ordinaire et en premier ressort,
Déclare Gauguin mal fondé dans sa demande, le déboute de toutes ses fins et conclusions et le condamne aux dépens.