Les Moëlanais
Vie religieuse
Le clergé à Moëlan
Clergé, religion et société en Basse-Bretagne, de la fin de l'Ancien Régime à 1840. Yves Le Gallo. (30 novembre 1991)
P 159
En bref, les incartades du clergé quimperlois suggèrent qu'il fut laissé à lui-même. Tout se passe comme si l'évêché, ayant réussi à pourvoir les paroisses de desservants et vicaires, pas toujours les meilleurs, vouait ensuite ouailles et pasteurs à l'oubli, dans leur silencieux bocage. Une curieuse illustration de ce fait nous est offerte à Moëlan, paroisse littorale assez opulente, productrice d'un cidre de qualité et d'huîtres connues des rivières du Belon et de Merrien, et dont l'habitant, "un peu insouciant, jamais pressé - amzer zo - et accueillant", est un homme joyeux, aimant les Pardons, les danses et les luttes. En 1825 après six pasteurs épisodiques, sans compter les constitutionnels de l'époque révolutionnaire, Moëlan est enfin pourvue, avec la promotion au rectorat de son vicaire Paul Stanguennec, d'un desservant, qui s'y perpétua de manière abusive. Cet ancien condisciple de Brizeux au presbytère d'Arzano, et qui abritera dans le sien leur commun maître Le Nir, ci-dessus évoqué, décédé à Moëlan en 1865, au terme de cinq années de vicariat et de quarante de pastorat, en accomplissant son dernier voeu : mêler ses cendres à celles de sa mère, de son frère, de deux neveux et d'une nièce, dans le cimetière paroissial.
Ce brave homme laissait les coudées franches à ses vicaires. Il y eut d'abord monsieur Lavor. Très assidu auprès des demoiselles du moulin du duc, il fut, en 1859, au bout de quinze ans de vicariat, expédié comme recteur à Plouégat-Guerrand, aux confins les plus ultimes du plus mauvais Trégor. Vinrent ensuite monsieur de La Boexière, hôte encore plus habituel du fatal moulin, et monsieur Pennamen, qui ne résista pas aux mêmes sollicitations. Le bonhomme Stanguennec trépassé, le bruit courut que Lavor songeait à recueillir sa succession. On se rappela alors les meunières et la conscience paroissienne s'insurgea : "Tout le pays accuse M. Lavor, M. de La Boixière et M. Pennamen du mal qui a eu lieu à Moëlan. Par leurs mauvais exemples, ils ont perverti la paroisse. Non seulement ils n'ont pas agi en prêtres ; mais encore ils n'ont pas agi en honnêtes hommes". Il est vrai qu'en Cornouaille, un prêtre, mauvais, léger ou seulement imprudent, engage l'église, sape la religion, détruit la foi. Mais il est vrai aussi qu'en Léon, voire dans une Cornouaille plus rugueuse, pareil manque de réserve sacerdotale eût été impossible, et inconvenable, à cause de l'ubiquité de l'universelle surveillance, et de l'unanime réprobation : le laxisme des ouailles provoquait celui des pasteurs. Au demeurant, il est certain que l'évêché portait une grave responsabilité dans la situation de déliquescence spirituelle où s'enfonçait la paroisse de Moëlan. L'avocat de la morale publique le laissait entendre dans sa lettre de dénonciation à Monseigneur : "La paroisse de Moëlan a été pendant très longtemps fort négligée. Pour relever cette paroisse, il faut un homme énergique et pieux et surtout d'une conduite irréprochable. Monseigneur, la paroisse de Moëlan a été abandonnée à elle-même pendant bien longtemps. Cette paroisse si malheureuse a besoin d'être renouvelée". Elle le fit, en effet. Monsieur de La Boexière échangea les campagnes pélagiques de Moëlan contre Saint-Cadou, c'est-à-dire la solitude la plus rocailleuse de la montagne d'Arrée, où il mourut trois ans plus tard. Quant à Pennamen, nommé dans le Trégor, il ne tarda pas à se retrouver dans la maléfique paroisse de Plouégat-Guerrand, où l'avait précédé Larvor. On observa qu'il eût été bénéfique pour Moëlan que l'autorité épiscopale envoyât finir ses jours, dans la maison des vieux prêtres de Saint-Pol, Stanguennec, qui protestait n'avoir "jamais eu d'autre ambition que celle de se dévouer jusqu'à la mort aux intérêts spirituels [des] braves gens" de sa paroisse, mais auprès duquel avait grouillé, et peut-être prospéré, sa parentèle.