Les Moëlanais
Histoire locale
Cahier de doléances
Extrait du registre des délibérations de la paroisse.
Ce jour dimanche vingt-neuf mars mil sept cent quatre-vingt neuf, environ une heure de l'après-midy.
En vertu des annonces faites tant à l'issue de la première messe qu'à celle de la grande de ce jour, à tous les habitants et général de la paroisse de s'assembler pour délibérer sur la lettre du Roy pour la convocation des ETATS GENERAUX à Versailles, au vingt-sept avril mil sept cent quatre vingt neuf.
Se sont présentés :
Jean Le Venic de Keryvoalen, du village de Keryvoal uhel | Yves Le Garrec de Kernonen larmor (1737-1806) |
Melaine Le Fauglas de Kerduel (1743-1822) | Corentin Le Sceller de Kerhérou (1749-1804) |
Guillaume Le Dos de Garzon (1750-1822) | Jean Carriou de Kerdoualen |
Vincent Flohic de Kerenpellan (1750-1826) | Pierre Cohen de Kersolf (1737-1808) |
Jean Le Robet de Chef du bois (1748-1828) | Louis Guillou de Grandes salles (1761-1803) |
Nicolas Le Favennec de Kercanet (1740-1805) | et Jean Dannielou de Kerlacet (1743-1806) |
Composant le corps politique de ladite paroisse de MOELAN, adhérés de six cents habitants qui font trois cent feux pour dresser ou faire dresser leur cahier de doléances ou remontrances et nommer leurs députés dans le nombre prescrit, savoir : deux députés à raison de deux cents feux et au-dessous, trois au-dessus de deux cents feux, quatre au-dessus de trois cents feux.
Le général et les habitants ont nommé pour leurs députés :
- Maître Jean-Marie Le Guiffant, notaire royal et procureur du siège royal de Quimperlé, demeurant au bourg de Moëlan,
- Michel Le Pennec, marchand de draps et lieutenant du guet, de la paroisse de Moëlan, y demeurant aussi au dit bourg paroissial,
- François Louis Guillou, ménager, demeurant au lieu noble des Grandes Salles,
- Jean Corentin Charles, capitaine du guet de ladite paroisse et y demeurant au village de Keryvoalen izel,
avec injonction et prière de se trouver à l'assemblée générale de Quimperlé, fixée au jeudi 2 avril prochain en l'auditoire du siège royal de Quimperlé et d'y porter leur cahier de doléances qui consiste à requérier celles qui suivent :
ARTICLE PREMIER
Demander l'extinction absolue de la corvée aux grands chemins qui empêche le laboureur de porter ses soins à manoeuvrer ses terres dans les temps les plus précieux et quelquefois très pressants. En tout cas, que la corvée en nature soit concertie en une imposition sur les propriétés des trois Ordres.
ARTICLE DEUX
Demander que les tailles et fouages ordinaires et extraordinaires soient, à l'avenir, supportés par les ecclésiastiques et les nobles, de manière que cette imposition, en se partageant, devienne moins onéreuse au Tiers Etat qui, actuellement, la supporte en entier.
ARTICLE TROIS
Demander que les Messieurs du Clergé soient imposés à la capitation à raison de leurs aisances.
ARTICLE QUATRE
Demander que Messieurs de la Noblesse qui ne contribuent que pour peu à l'imposition, y contribuent à l'avenir, proportionnellement à leurs richesses ainsi le Tiers se trouvera d'autant moins imposé.
ARTICLE CINQ
Demander que dans la perception de toutes impositions quelconques, il n'y ait pour chaque espèce qu'un seul et même rôle sur lequel seront également portés Messieurs les ecclésiastiques et les nobles, et que ces rôles soient faits dans chaque paroisse, afin que la répartition soit juste et également faite.
ARTICLE SIX
Demander que les députés pour les Etats Généraux votent par tête et non par ordre et que ces députés ne soient ni nobles, ni anoblis, subdélégués, juges, procureurs fiscaux ni receveurs des nobles.
ARTICLE SEPT
Demander la suppression du francfief ; en tout cas que les nobles y soient assujettis comme les roturiers.
ARTICLE HUIT
Demander la suppression des juridictions inférieures et que les juridictions royales soient autorisées à juger en dernier ressort les causes communes et ordinaires.
ARTICLE NEUF
Pour encourager les laboureurs dans leurs travaux, demander la suppression des usages qui mettent des entraves à l'agriculture tels que les domaines congéables qui font la richesse du propriétaire foncier et très souvent la ruine du malheureux colon. Les baillées sont devenues un objet de commerce. On les vend à l'enchère et au plus offrant et dernier enchérisseur. Il arrive très souvent qu'un mauvais laboureur, mais riche, expulse à force d'argent un bon laboureur et honnête homme du bien de ses pères et le prive par là du fruit de ses travaux et de ses sueurs ; sans compter les animosités et les malheurs qui n'en sont malheureusement que trop souvent les suites ordinaires.
On a vu des enfants congédier leurs pères et mères.
On peut encore ajouter à cela que les colons sont très mal logés et dans l'impossibilité de s'y procurer aucune aisance.
Il est triste de voir d'honnêtes ménagers habiter des maisons très basses où ils ne reçoivent la lumière du jour et ne respirent l'air qu'à la faveur d'une fendasse ou plutôt d'une meurtrière. On gémit, et avec raison, sur l'insalubrité et l'infection des prisons mais ce n'est rien en comparaison de la plupart des maisons de la campagne sujettes à domaine congéable. Il faut avoir vu pour s'en former une idée.
Voilà aussi la cause principale des maladies épidémiques et populaires qui dévastent la campagne.
On peut encore ajouter que dans le temps des récoltes, des blés soit coupés ou battus se détériorent, faute d'avoir une grange pour les mettre à couvert.
Tous ces différents inconvénients proviennent du domaine congéable qui ne permet pas aux colons de donner à leur maisons les ouvertures nécessaires ni de se procurer, sur leur à battre des granges permettant de mettre leurs blés à l'abri. Les seigneurs s'y opposent dans la crainte de grever leur fond, ou ne l'accordent qu'à titre onéreux, soit à la charge d'augmenter la rente ou d'une plus forte commission.
ARTICLE DIX
Demander l'abolition du droit de chasse, et qu'il soit néanmoins permis à un honnête citoyen d'avoir une arme pour détruire un sanglier qui ravage ses blés, un loup qui dévore son bétail ou un chien enragé qui met tout le quartier en alarme.
ARTICLE ONZE
Demander la suppression des cabarets ou bouchons qui se sont établis dans les campagnes. Dans le bourg de MOELAN, par exemple, on compte six cabarets, quatre cafés où il se débite eau-de-vie et liqueurs. On y vend même du chocolat.
Dans différents cantons de la paroisse on compte une vingtaine de cabarets où il se consomme mal à propos les sommes qu'on ne peut apprécier au juste, sans compter les désordres qui s'y commettent.
ARTICLE DOUZE
Et finalement charge ses députés de concourir avec tous les autres ordres pour opposer qu'il ne soit entrepris ni dérogé en aucune manière aux constitutions, droit, franchises et libertés de la Province et pour le maintien du contrat d'union de la Bretagne à la France.
Fait et arrêté les dits jour, mois et an que devant sous les seings de Jean Corentin CHARLES (1754-1808), M. LE PENNEC (1749-1810), Jean LE VENIC, Joseph Marc GUILLOU (1745), François Louis GUILLOU (1761-1803), Dominique HENRY, Melaine LE FAUGLAS (1743-1822), Pierre Yves LE BOURHIS (1756-1800), Mathieu LE BRETON, François Louis JOLIF (1751-1816), Pierre LE FLO (1750-1823).
Les autres habitants ont affirmé ne savoir signer et ne s'est trouvé personne pour signer à leur requête.
Le Guiffant, greffier.
NDLR : les dates entre parenthèses ont été rajoutées afin d'identifier les individus.