MEMOIRES ET PHOTOS DE MOELAN

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Souvenirs de Moëlanais

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Souvenirs de Moëlanais

Titre

Camille Kerlan (janvier 2021)

 

Rhodo

         En 1955-60, j'avais une dizaine d'années, j'allais assez souvent à Moulin-l'Abbé. J'avais la charge d'aller y récolter de la gravette qui servait d'appât pour la pêche. Il y avait alors en fond d'estuaire un bout d'estran, pas vraiment une vasière, mais une zone faite de sables, de graviers, de vase, d'eau douce et d'eau de mer avec des algues vertes (probablement Ulva lactuca) et des goëmons accrochés à quelques roches affleurantes. Cette zone, presqu'entièrement recouverte à marée haute, commencait un peu en aval du moulin ; les cyclistes y accédaient par une route caillouteuse, plutôt malaisée.


         Cette récolte de gravette (des vers marins assez fins, longs de quelques centimètres) était un dur travail pour un enfant. On se servait d'une binette pour creuser au bon endroit, mains et pieds nus. La récolte recueillie dans une boîte était recouverte d'algues vertes, qui n'avaient alors aucun caractère proliférant et avaient même une allure sympathique. Chaque séance durait une bonne heure, plus si nécessaire; en effet comme pour la pêche qui suivait, il y avait de bons et de mauvais jours. Pas de compliments, ce n'était pas d'usage à l'époque. Au demeurant, rien que de l'ordinaire, tous les mousses de Merrien, Doëlan et d'ailleurs, vous le diront ! De même, mes copines d'école, qui étaient embauchées dans les parcs à huîtres à Noël, donc en hiver, ne connaissaient ni les gants, ni les bottes de caouchouc.


         Je suis revenu à Moulin l'Abbé une ou deux fois, ces dernières années, en prenant le chemin côtier à partir de la cale de Merrien rive droite. L'imposante pinasse, longtemps mouillée dans une petite anse rive gauche, très proche de Moulin l'Abbé, n'était plus là.. Rien d'étonnant, les bateaux, alors en bois, finissaient leur vie et disparaissaient peu à peu dans les cimetières des fonds d'estuaires.


Surprise : à proximité du moulin, la gravière avait disparu ! Je l'ai cherchée, tournant en rond, croyant m'être trompé (était-ce plus haut, plus bas ?). Je n'ai trouvé qu'une pelouse assez rase de graminées terrestres ; plus de flore maritime, et encore moins de vers marins ! Il m'a paru qu'il y avait eu de gros travaux de remblais avec souci de mise hors d'eau. Mais je peux me tromper. L'emplacement exact de cette gravière est difficile à déterminer aujourd'hui. Au fil des décennies, l'estran, endroit fragile de nature, a pu être modifié sous l'effet de la mer, des marées et des tempêtes. Il est certain que l'ensemble du site a bien changé. Le pont de bois n'existait pas, les panneaux GR 34 ne sont apparus que bien plus tard, les cheminements étaient alors différents, le sentier rive gauche n'était guère tracé. Le lit du cours d'eau me semble aussi avoir été déplacé. Il serait intéressant de recouper avec les souvenirs d'autres personnes ayant connu et suivi l'évolution de Moulin l'Abbé depuis quelques dizaines d'années.

 

Moulin l'Abbé : à propos des derniers habitants

         Dans mes souvenirs, au début de mes visites à Moulin l'Abbé (années 1954-55), la maison n'était pas habitée. Le ruisseau passait encore au dos de la maison ; l'intérieur de celle-ci devait être très humide, car le mur de ce côté était fait de pierres nues. Je ne me souviens pas d'une roue de moulin, mais bien des éléments étaient assurément des traces d'activité témoignant du passé récent d'un moulin à eau.

 

         Plus tard, j'ai eu l'occasion d'y rencontrer des enfants, au nombre de trois, je crois. Ils ne pouvaient laisser indifférents, car ils étaient remarquablement petits* et actifs. Ils ne jouaient pas vraiment. A quoi donc s'occuppaient-ils ? Hé bien, à tout ce qui n'avait aucun rapport avec ce que l'on apprenait à l'école ! Ils trouvaient leurs centres d'intérêt dans la nature qui les entourait, tout ce qui était rejeté par la mer méritant attention (os de seiche, étoiles de mer, boules de filets en verre épais, plastiques de couleur...). Ils n'étaient pas scolarisés à Kermoulin ; par conséquent, nous n'avions pas d'autres occasions de faire plus ample connaissance. Je n'étais pas le seul de mon âge chez qui ces gamins avaient suscité la curiosité. Ils faisaient toute chose en y portant la plus grande attention. J'ai eu l'occasion de revenir les voir avec d'autres garçons, alors élèves de Kermoulin comme moi ; nous nous sommes approchés comme il le fallait ; les nouveaux venus nous ont regardés venir, une première fois, puis une autre, mais ils n'ont jamais fait les derniers pas. Ensuite, ils faisaient partie du paysage. Je ne me souviens pas avoir rencontré l'un de leurs parents.

 

         Au printemps 2014, j'ai conduit mon épouse, née en pays de Léon, à la découverte de ce sentier côtier si agréable. C'était une journée bien ensoleillée. Il y avait des visiteurs à Moulin l'Abbé, genre touristes. Perdu dans mes souvenirs, je n'y ai d'abord pas prêté grande attention.

 

         Une dame près de moi était également appuyée à je ne sais quelle barrière. "J'ai habité cette maison" dit-elle en se tournant vers moi. Elle était bien habillée, plutôt ville que rando, et même élégante, la quarantaine, de taille moyenne. Elle paraissait très émue. J'ai compris qu'elle était de passage après une longue absence. Y avait-elle passé son enfance ? Visiblement elle ne souhaitait pas en dire plus. Je n'ai pas osé lui demander qui elle était. Nous avons préféré demeurer des inconnus l'un pour l'autre. Je lui ai seulement dit que je ne retrouvais pas l'environnement que j'avais connu et nous nous sommes quittés sur le constat commun que l'endroit avait bien changé depuis nos années de jeunesse.

*Pour donner une idée, je dois ajouter que ma taille n'a jamais dépassé 1m65 !

 

Moulin l'Abbé, poste-frontière et lieu de passage obligé

         En 1955, j'avais l'âge d'aller à l'école de Kermoulin, officiellement l'école publique de Saint-Thamec, où M. THOMAS était le directeur et son épouse institutrice. La route goudronnée s'arrêtait à Langroes, mais cela n'était un problème pour personne, nos sabots ayant l'habitude des chemins de traverse. A midi, la cantine, bien trop petite dans ces années de baby-boom, servait de la purée le mercredi et le vendredi. A tour de rôle, chacun d'entre nous faisait partie de l'équipe chargée d'aller prendre le lait dans la ferme voisine (chez GUILLERM, je crois me rappeler) ; les bidons (de 20 litres ?) étaient assez lourds pour nous et il arrivait parfois que l'un d'eux se renverse; ce n'était pas très grave, savez-vous que lorsqu'on ajoute de l'eau dans du lait, cela ne se sait pas ?


         Kermoulin était au centre de notre territoire dont nous connaissions très bien les limites: d'un côté, les rivières de Merrien rive gauche et de Doëlan rive droite, la route du Croiziou à Kersalut d'autre part. Cette route ne constituait toutefois pas un obstacle pour les écureuils et leurs chasseurs, de redoutables manieurs de lances-pierres, comme l'étaient mes cousins Jean-Yves et René de Kerhuiten. Damany et Kerouartz n'étaient pas chez nous, Kervéligen non plus, mais avec un statut un peu à part, car plusieurs pêcheurs de Merrien y résidaient.

 

         Moulin l'Abbé était donc un poste-frontière. C'était cependant un lieu de passage obligé sur le chemin de Vaz Couz lors des grandes marées ; c'était ainsi depuis des générations pour toutes les familles de Keryoualen, Kerhuiten, Kergostiou, sans doute Penprat, peut-être aussi Langroes et Chef-du-Bois. Ces jours-là, nous y allions avec les adultes ; aucun risque donc de mauvaises rencontres de garnements étrangers, à savoir ceux de l'école de Kerouze ! Je ne me souviens pas d'avoir trouvé que le chemin était long. Nous récoltions des bigorneaux et surtout des berniques que, le plus souvent, on mangeait crues sur du pain beurre.


         Les enfants avaient deux autres raisons de passer à Moulin-l'Abbé pou rs'aventurer de l'autre côté de la rivière de Merrien. Dans les deux cas, le but des expéditions était le parc du château de Plaçamen. Nous n'ignorions pas que l'entrée en était interdite, mais nous connaissions tous le moyen d'y pénétrer sans nous faire voir. En automne, nous en revenions avec des fruits. Volés ? Oh que non ! Nous les avions reçus d'un monsieur très gentil pour qui nous étions très respectueux. Comme quelques autres – par exemple le père de Roger dont je vous parlerai peut-être un autre jour - il avait un métier qu'il était le seul à faire. C'était un travail de la terre, mais en intérieur. Nous le trouvions le plus souvent assis devant une tablette sous une sorte de hangar en verre, où poussaient toutes sortes de plantes. Il semblait content d'avoir de la visite. Il nous invitait à goûter ses fruits, disant qu'il en avait à ne savoir qu'en faire. Il ne nous a jamais reproché d'être entré par effraction et même ne nous ajamais demandé comment on était entré. J'ai gardé le souvenir de poires d'un gôut exquis, des poires autres que celles de nos vergers.


         Pour en savoir plus sur ce jardinier de Plaçamen, voir le livre remarquable de Bernard BOUDIC, "Un château en Bretagne" aux éditions Coop Breiz 2015.

 

         Au printemps, tous les élèves, plus les garçons que les filles, avaient une autre bonne raison d'aller faire un tour à Plaçamen, cette fois dans la plus totale clandestinité, de préférence à la nuit tombante. C'était après la floraison des lilas, soit fin avril et ensuite pendant tout le mois de mai qui pour nous était le mois des hannetons. Il y avait à Plaçamen des fleurs qu'on ne trouvait nulle part ailleurs, de très belles fleurs entre rose et rouge vif. Aucun de nous n'en savait le nom. Cela ne durait qu'un moment et il fallait donc avoir l'oeil, par conséquent faire des reconnaissances pour juger de l'avancée de la floraison. Pour qui ces fleurs ? Pour les maîtresses d'école pardi ! Une année, la maîtresse du cours moyen, une femme gentille et toujours souriante, était enceinte, un peu plus enceinte chaque semaine. Nos yeux d'enfants étaient très attentifs aux signes d'avancement de la grossesse. Ce n'était pas dans nos livres d'école, mais c'était une belle leçon facile à retenir. Cette maitresse avait en ce mois de mai reçu un bouquet de fleurs quasiment tous les jours. Tous les chapardeurs étaient prêts à jurer qu'ils les avaient cueillis dans leurs jardins chez eux. Nos soeurs avaient à coeur d'embellir les façades de nos chaumières, mais sur les bandes de terre qui couraient entre porte et fenêtres, on voyait surtout des dahlias – très variés et, il est vrai, bien jolis -, des rosiers à petites fleurs, ou des géraniums à l'automne. M. THOMAS n'était pas dupe, mais souriait seulement, tant que cela n'entrainait aucune plainte. Je ne pense pas que les chatelains aient jamais été informés de ce manège qui se renouvelait tous les ans avec l'arrivée des beaux jours.

 

NDLR. Il s'agissait de rhododendrons, et peut-être aussi d'azalées!

 

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