Parimoine
Archéologie :
Moëlan - Archéologie
BACHELOT J.M. - RECHERCHES ARCHEOLOGIQUES DANS LA COMMUNE DE MOELAN PRES DE QUIMPERLE
(Impr. de E. Duverger, Paris, 1847)
J'avais appris en 1844, par M. Lartigue, lieutenant des douanes royales à Lanvaux, près de Brest, que la commune de Moëlan, située dans l'arrondissement de Quimperlé, possédait de grands dolmens dont aucun antiquaire n'avait encore fait mention. Dès lors je regardai comme un devoir pour moi de les tirer de l'oubli, d'autant plus que l'un d'eux me semblait d'une forme exceptionnelle, d'après la description qui m'en avait été faite. Mais le cours de mes recherches m'ayant ensuite appelé sur diverses autres parties du département du Finistère, il en est résulté que je n'ai pu visiter Moëlan que pendant l'automne 1846. Je partis de Quimperlé le 11 octobre, accompagné de M. Alexandre Keraudy, qui me servait d'interprète ; c'était un dimanche, et j'avais choisi ce jour pour mon arrivée, afin de juger l'ensemble de la population à la sortie de la grand'messe.
Je profitai du peu de temps qui me fut disponible à Quimperlé pour faire une nouvelle visite à son église romane de Sainte-Croix. Je regarde celle-ci comme l'une des plus curieuses de Bretagne, par sa construction en forme de croix grecque et par la cripte qui est sous le coeur, dont elle élève le niveau à quatre mètres au-dessus de la nef. Je fus me présenter ensuite chez M. de la Gillardaye, pour voir ce tombeau litigieux, découvert dans la forêt de Carnouët. Je ne le connaissais que par les journaux, ainsi que les curiosités qu'il renfermait ; mais cette démarche fut vaine ; M. de la Gillardaye venait de partir pour la contrée qui était l'objet de mon voyage.
Pour se rendre de l'église de Sainte-Croix à Moëlan, il faut gravir une rue crève-coeur qui conduit à l'église Saint-Michel, seconde paroisse de la ville : j'entrai dans celle-ci pour reprendre haleine et j'eus la surprise de voir qu'elle se réduisait en quelque sorte à son sanctuaire, compris sous la base de son clocher, tant la nef est chétive. Je m'attendais à mieux, d'autant plus que ce clocher, bâti au XVIè siècle, se présente d'une manière presque monumentale : c'est un palais pour les cloches, tandis que la nef n'est plus qu'une humble cabane pour les fidèles qui ont le courage de venir de la basse ville pour y assister aux offices.
On traverse ensuite une place spacieuse, autour de laquelle on voit encore beaucoup de ces maisons bourgeoises en bois qui remontent aux XIVè et XVè siècles. Elles ont, comme de coutume, leurs pignons pointus, leurs étages en saillie par encorbellements et toute la partie supérieure de leur façade recouverte en ardoise, ainsi que la toiture. Il est à remarquer, quant à leur mode de construction, que toutes leurs fenêtres s'ouvrent en dehors, ce qui est d'un effet peu gracieux pour la vue, en même temps que, donnant ainsi prise aux vents, il faut souvent les réparer.
Il ne reste plus ensuite qu'à traverser qu'une espèce de faubourg très court, d'où l'on descend au fond du vallon auquel comme le chemin vicinal qui conduit à Moëlan. Cette route se dirige au S.-O. ; bientôt elle traverse un sol plat, très boisé, monotone, où nous ne rencontrons au bord du chemin que deux ou trois cabarets récemment bâtis.
On remarque près de l'extrémité de la lande de Vuidar (Vuidac'h en breton) une de ces croix en granit, au fût noeux, arrondi et menu, qu'on appelle croaz ar vocen en celto-breton, c'est-à-dire croix de la peste. Elle fut érigée en cet endroit vers le XVè siècle, pour arrêter ce fléau qui ravageait la ville de Quimperlé ; mais Moëlan se mit immédiatement sous la protection de Saint-Roch, qui arrêta la contagion dans cette lande.
Les chênes et les beaux châtaigniers qui bordaient la route en sortant de Quimperlé diminuent ensuite de grandeur parce qu'on se rapproche de plus en plus des bords de la mer ; mais la campagne se découvre sans que rien de pittoresque vienne s'offrir à nos regards. Enfin on entre dans la grande lande de Portz-Moëlan, qui descend vers le bourg par une pente peu rapide. Son nom de Portz-Moëlan signifie, selon les habitants, la cour et même la basse-cour de Moëlan ; il lui fut peut-être imposé dans les premiers temps du christianisme pour déconsidérer les monuments celtiques que l'on y rencontre. Dès qu'on arrive à l'extrémité orientale de cette plaine aride et si nue, on aperçoit le petit clocher de l'église et le toit des principales maisons par-dessus les arbres qui les avoisinent ; ensuite c'est un dolmen en ruines, à main droite, puis le menhir de Saint-Philibert sur la gauche, lorsqu'on est sur le point d'entrer dans le bourg. On met ordinairement que deux heures à faire les deux lieux et demie de poste qui séparent Moëlan de Quimperlé.
MOELAN
Ce bourg, assez considérable, occupe un plateau peu élevé qui confine, du côté du midi, au marais tourbeux de la chapelle de Saint-Roch et Saint-Philibert. Son église n'a rien qui nous intéresse sous le rapport monumental ; elle est du XVè siècle, si toutefois mes souvenirs ne me sont infidèles, assez spacieuse, mais basse. Il n'y a pas non plus d'anciennes maisons, ni de remarquables sous aucun rapport : presque toutes ont un premier étage et son couvertes en ardoises.
On y voit trois origines de rues, dont l'une se dirige sur la route de Quimperlé, du côté de l'est ; la seconde, le long du vieux chemin de Kergoustance, qui conduit ensuite à Riec, vers le N.-O. ; la troisième, du côté du passage, au port du Bélon : c'est sur celle-ci que se trouve la mairie, bâtiment modèle, dont la commune est redevable aux soins intelligents de son maire, M. Mauduyt de Plaçamenn. Une quatrième route vicinale arrive encore par le midi, du port de Douélan et de Clohars-Carnoët, bourg qui doit son surnom à la forêt qui couvrait jadis tout le pays. Ces routes font aussi l'éloge de M. Mauduyt par leur belle tenue.
Moëlan était autrefois très fiévreux dans l'arrière-saison : son insalubrité provenait des miasmes qui sortaient du marais tourbeux, ainsi que du vallon de Damané auquel il confine. Chaque soir, en automne, une brume épaisse qui s'élevait après le coucher de soleil, couvrait tout le bas-fond et ne disparaissait que le lendemain matin vers les huit à neuf heures, quelquefois même à neuf heures et demie. Une autre cause de son insalubrité provenait encore de ce que son église et le cimetière se trouvent au centre de l'agglomération.
Je dois prévenir les touristes et nos confrères en archéologie qui voudront visiter cette contrée, qu'ils trouveront au bourg une auberge très convenable attenante à la mairie ; et Guillaume Cariou, qui m'a servi de guide, sera pour eux un excellent pilote.
Rien ne nous annonce que l'agglomération puisse avoir une origine antérieure au christianisme. Il est même probable qu'il ne s'est formé que par l'établissement du peuple autour de la chapelle construite par saint Melaine, lorsque celui-ci vint prêcher la foi du Christ dans la contrée ; mais aucune de ces constructions primitives n'a laissé de traces depuis bien longtemps. J'ai su par les paysans qu'ils appellent, en breton, cet endroit que Molen et non pas Moëlan ; c'est alors que de Molen on a fait Moëlan pour Moël-lan, mots dont le dernier signifie terre, et le premier, Moël, chauve, c'est-à-dire une terre nue et chauve, ou sans arbres.
Ces expressions, en effet, définissent exactement l'état primitif de cette contrée ; car, malgré l'accroissement de la population et celui par conséquent du sol mis en culture, nous rencontrons encore aux environs du bourg les vastes landes de Portz-Moëlan, de Kerglien ; celles, à l'occident et au nord, qui continuent de ne nous présenter qu'une pelouse extrêmement rase et comme dépourvue en quelque sorte de végétation.
Il devient alors manifeste que c'est seulement depuis l'établissement du christianisme et de l'adoption de saint Melaine pour patron du pays que l'on a voulu faire dériver Moëlan de Melan ou Melanius, en le latinisant. On fonde cette opinion sur ce qu'on aurait trouvé le nom du saint prélat écrit Moëlan sur d'anciens titres ; mais les plus authentiques sont ceux qui ont été recueillis par Albert le Grand et par les Bollandistes, et d'après lesquels ils l'appellent Melanus, Melanius, ajoutant encore à ceux-ci Menelaius, d'après Robin ; et l'on n'y trouve point celui de Moëlan.
Nous ferons encore remarquer qu'au lieu de moëlan on appelait le prélat Melenn en breton, et comme ce mot veut dire blond ou jaune, je me croirait fondé à le regarder comme un simple surnom, lequel nous rappelle le Flavus Apollo, en même temps que la chevelure blonde du Christ, dont Melaine était l'apôtre. Notre compatriote, feu M. Penhouet, a présumé en conséquence que le culte de saint Melaine ne serait peut-être que celui de Bélus christianisé, fondant cette opinion sur ce que le peuple de Rennes continue d'appeler la rue Saint-Melaine rue Saint-Belaine: c'est celle qui conduit à l'évêché.
La commune de Moëlan est limitée à l'ouest et au nord-ouest par la rivière de Bélon, formée par un bras de mer fort étroit et long de plus de deux lieux, qui arrive pour ainsi dire jusqu'au bourg. Lorsque j'entendis prononcer ce nom de Bélon, il me rappela sur-le-champ Bélus, divinité gauloise qui était l'Apollon ou le soleil des païens ; et la contrée ne m'en parut que devoir fixer davantage l'attention des antiquaires, d'autant plus que nous y retrouvons cet autre golfe qui a reçu le nom de Port-de-Douélan, que nous avons cité ci-dessus : ce mot est composé de Doué, dieu, divinité, et de lan, terre. En effet, une terre où abondent les monuments religieux devenait aux yeux de nos ancêtres celle de la Divinité.
Le territoire de Moëlan devait être ainsi jadis une espèce de centre religieux, un véritable sanctuaire pour nos ancêtres, et lorsque j'y venais pour un seul dolmen, mais aussi remarquable pour sa grandeur que par sa forme exceptionnelle, m'avait-on dit, je me suis trouvé bien consolé de ce qu'il n'y existait pas, par la rencontre de trois longs-dolmens, ou Roches-aux-Fées : 1° celui de Kergoustance ; 2° celui de Park-Biourar ; 3° celui de Kerségalou ; 3° auxquels il faut ajouter encore celui de la lande-de-Kerdor ou Kerdoret, en Porz-Moëlan, mais qui n'a plus que les dimensions d'un dolmen ordinaire, et enfin celui de Lande-au-duc, qui est d'une forme anormale : il fait le cinquième.
Il faut ajouter à celui-ci huit menhirs, qui sont ceux de Menkerglieu et de Mencam, dans la même localité ; de Kerseler, de Saint-Guinal ou de Park-ar-Leur; de Saint-Philibert, qu'on appelle aussi la Pierre-de-Saint-Roch ; de Kerségalou ; de Lann-vienn ; de Poulvéz ; puis deux roches piquées, médiocres ; enfin celle de la Lande-au-Duc et celle de la Lande-de-Kerdoret ; celles-ci sont de simples peulvans.
Je ne dois pas omettre dans cette énumérations : 1° les pierres alignées de Kerahédic, sur la route de Rosbras ; le grand bloc couché voisin du manoir du Poulguenn, et qu'on appelle la Roche-du-Diable ; le macrolithe sillonné ou Men-Bras, près du château de Hénan ; les turcies de la lande de la Grande-Salle ; enfin une espèce de rempart en terre à Ros-Bras ; ce dernier forme le vingtième objet digne de remarque.
Tel a été le résultat de mes découvertes dans la contrée, pendant mon séjour du 11 au 16 octobre, et du 29 de ce mois au 7 novembre : en tout treize jours de recherches. Au travail descriptif, j'ai ajouté le plan et le dessin des dolmens sous plusieurs aspects, ainsi que pour les menhirs principaux, ayant été favorisé par le temps dont on jouit trop rarement dans l'arrière-saison.
Mais avant de présenter la description de ces monuments, je ne dois pas omettre de mentionner une vaste circonvallation qui fut établie dans le pays, sous Louis XIII, de 1610 à 1616, pour séparer les domaines susceptibles de rachat de ceux qui ne le seraient pas, en raison de leur grand rapprochement de la mer. Le titre qui les concerne existe encore à Quimperlé entre les mains d'un avoué.
La clôture qui forme cette enceinte, d'après la partie que j'ai observée, en traversant le chemin du Pont-Dour-Dû, c'est-à-dire le pont de l'eau noire, se compose d'une haie ou môle en terre, large de trois mètres, avec un fossé de chaque côté à sa base. Cette haie est accompagnée d'un mur en pierres, du côté du levant ; elle s'appelle Diou-bur-Roué, le fossé du roi ; sa direction est vers le nord, puis elle se recourbe du côté de l'est. En répondant à ma demande si elle se prolongeait bien loin, Cariou me dit qu'il allait d'ici à Bannalec, qui est à quatre lieues de poste au N.-O., et faisait ensuite le tour de la France et peut-être même du monde entier. M. Mauduyt, en m'apprenant la réalité à ce sujet, rit beaucoup de la simplicité de nos pauvres paysans.
De même que les patrons des autres communes avaient, plus ou moins près de l'église paroissiale, une fontaine qui se trouvait sous leur invocation, de même saint Melaine avait aussi sa fontaine protégée dans une prairie voisine, qu'on appelle en conséquence la prairie de Saint-Melaine ; mais comme celle-ci n'avait rien de monumental et qu'on l'a complètement négligée, elle a tellement cessé d'être un objet de vénération, que les voisins vont y laver leur linge.
La fête patronale de Moëlan était une grande solennité pour le pays ; il y avait des courses et des luttes, où les vainqueurs obtenaient pour récompense un mouton, des chapeaux, des bonnets, des mouchoirs ou des rubans, un miroir ; on dansait de tous côtés, car partout ce n'était que plaisirs !... Mais sous un prétexte d'amélioration morale, le clergé breton a proscrit la danse, sans proscrire le jeu ni le cabaret aussi rigoureusement. Les jeunes filles qui se permettent la danse sont excommuniées tout le temps qu'elles ne renoncent pas à ce plaisir criminel... Il faut aussi qu'elles ne se promènent qu'entre elles le dimanche ; qu'elles se rendent entre elles aux offices divins, lorsqu'elles demeurent à distance du clocher... qu'elles fuient les garçons comme s'ils étaient le péché personnifié. Bref, il faut chaque sexe fasse bande à part !!!
Par ce système d'isolement, notre Bretagne centrale est une nouvelle image du Paraguay, où la race humaine automatisée n'a qu'une vie morne, rustique, ne sachant qu'adresser à Dieu des prières incomprises, se domicilier dans les églises, et verser entre les mains des quêteurs pour les séminaires des aumônes prélevées sur les besoins urgents d'une pauvre famille. Nos campagnes surtout sont encore un pays où le prêtre est redevenu le druide autocrate ; ses injonctions ont acquis la même puissance.
Passons maintenant à la description des monuments.