Patrimoine
Les métiers d'autrefois
Les métiers
Les métiers autour de Langroës, il y a 60 ans
Camille Kerlan (Décembre 2017)
Un jour de la fin des années 50, Monsieur Thomas, directeur de l'école publique de Saint-Thamec (NDLR l'école de Kermoulin), donna à ses élèves un devoir à faire à la maison; rien de compliqué ; il fallait seulement écrire sur son cahier le nom du métier que faisait son père.
C'était facile pour beaucoup d'entre nous. Pour la plupart, leur père travaillait la terre dans les champs avec un ou deux chevals, ou bien il allait en mer sur un bateau faire la pêche. Monsieur Thomas expliqua que l'on disait "cultivateur" et "marin-pêcheur". Il y avait aussi le "commis de ferme". "Mousse" n'était pas un métier. Gérard avait écrit deux mots sur deux lignes séparées : "instituteur" et "maîtresse". Annick n'avait plus son père, alors elle avait écrit "couturière" ; monsieur Thomas lui demanda gentiment si elle avait une machine à coudre SINGER. La mère de Lili avait aussi été "couturière" au bourg chez Marianne Lavollée et il se rappelait avoir joué avec des bobines de fils dans l'atelier au-dessus du magasin. Le père de Robert était "boucher"; il passait de temps en temps chez nous acheter un veau qu'il abattait lui-même au bas de la boucherie sur la route de Portec. Il était "boucher", pas "charcutier" ; pour çà, il fallait aller au bourg. A Langroës, nous avions un "boulanger" ; Armand faisait le pain et parfois des brioches ; il aimait bien que les enfants viennent le voir travailler auprès de son four, mais nous le trouvions parfois endormi sur les sacs de farine. Nous avions l'habitude de voir passer le "meunier" qui venait du moulin de Damany ; le cheval et l'attelage étaient aussi blancs que celui qui en tenait les guides (NDLR les rênes) ; nous étions impressionnés par la facilité avec laquelle il chargeait les lourds sacs de farine, l'un après l'autre, sur son épaule.
Pour plusieurs d'entre nous, le devoir n'avait pas été facile; nous savions ce que faisait notre père, mais quel était le nom du métier ? Le père de l'un d'entre nous avait navigué sur un bateau de guerre dans l'Océan Pacifique, mais maintenant il allait chaque jour à Lorient à l'hôpital maritime ; cela s'appelle "marin de l'Etat" dit monsieur Thomas, (quel nom bizarre, impossible à retenir !). La tâche avait été aussi difficile pour Josette ; son père était sur un bateau; par conséquent, il devait être marin ? Oui, mais c'était sur un cargo et son boulot était de mettre du charbon dans la chaudière ; "marin de commerce" annonça monsieur Thomas. Ce fut pareil pour Edith dont le père faisait l'électrécité sur un bateau à Toulon et pour Jeannot dont le père faisait la cuisine sur un paquebot ; non il n'était pas mousse, mais matelot, et même de 1ère classe (NDLR sur tous les bateaux de pêche, le mousse avait la charge de préparer la tambouille pour tout l'équipage).
Beaucoup de nos mères n'avaient pas de métier. Maria et Louisette travaillaient à la cantine de l'école, mais faire à manger ou faire la vaisselle, ce n'était pas un métier. Il y avait également toutes celles qui allaient à Malachappe quand elles entendaient la sirène de l'usine ; elles mettaient leur bébé sur les genoux de leur voisine et partaient à pied par les chemins et gwinogennoù jusqu'à Brigneau ; elles revenaient quelques heures plus tard, souvent en pleine nuit et trempées ; monsieur Thomas nous assura que ces "ouvrières d'usine" faisaient bien un métier – comme des hommes - et qu'il y en avait, non seulement chez Larzul à Doëlan, mais aussi à Concarneau et Douarnenez.
Dans notre quartier de Langroës à Merrien, nous avions deux "cantonniers" avec qui nous entretenions les meilleures relations, à la différence du "garde-champêtre" qui survenait à l'improviste et dont il convenait de se méfier, quoiqu'il était très facile de s'en débarrasser. Nous avions aussi une sorte de "garde-champêtre de la mer" avec des attributions incertaines : la délivrance de gasoil donnait lieu à déclaration et il avait aussi la charge de vérifier que tous les matelots de l'équipage s'étaient mis sur le rôle ; heureusement, il n'était jamais là au départ du bateau (NDLR au lever du jour), et au retour à quai, il était assailli de moqueries, avec la menace d'être balancé à l'eau s'il se mettait en tête de contrôler la pêche. Bref, ce n'était pas un métier facile, occupez-vous donc de faire des papiers dans le vent ! Monsieur Thomas, après réflexion, décida que cette personne pouvait être un "douanier", plutôt qu'un "gendarme maritime". Nous connaissions le mot "gendarme", mais nous n'en avions jamais vu un seul, même pas au bourg.
D'autres coureurs de routes ou de chemins étaient bien connus de nous, comme le "facteur", ou comme Jacqueline au volant de la camionnette de l'ECO qui passait au village une fois par semaine (souvent le jeudi, le jour où il n'y avait pas école) ; Jacqueline était une une jeune femme pleine d'allant qui s'annonçait par un joyeux coup de corne ; monsieur Thomas nous apprit que cela s'appelait "commerçante ambulante" (waouff !).
Nous connaissions les mots "épicerie" et "pâtisserie", mais ils ne nous étaient pas familiers ; nous savions que "chez Gouyec", on vendait des gâteaux à la crème comme ceux qui étaient servis lors des repas de communion, tandis que "chez Titine" à l'Union des Docks (un joli nom de boutique, n'est-ce pas ?), on trouvait ce qui se vendait en pochons fermés (café, chicorée, sucre...), ou encore des paquets de gaufrettes et de gâteaux de Pont-Aven ; Titine nous accueillait toujours avec grand sourire et bonne humeur. Il y avait aussi "chez Orvoën" sur la route du Croiziou, où l'on trouvait tous les produits et outils du jardin (NDLR une sorte de magasin vert) ; madame Orvoën était seule dans sa grande entreprise, mais elle débordait d'activité, parlait sans cesse, et était très capable de s'occuper de plusieurs clients, ou clientes, en même temps..
Monsieur Thomas nous encouragea, conscient qu'il était du caractère instructif d'une telle séance, encore que pareille nouveauté aurait pu déplaire à "l'inspecteur". Nous en étions arrivés aux métiers du bourg bien identifiés comme "coiffeur" ou "coiffeuse", "docteur", "pharmacien", "marchand de vélos" (à l'arrière de la charcuterie Courant), "photographe", "maçon", "couvreur", "menuisier" (au village, nous avions encore le vieux Mathurin dans une ti-couz, mais maintenant l'oncle du bourg tenait une menuiserie avec pignon sur rue sur la route de Kergroas).
Lili, comme tout le monde, avait de temps en temps besoin d'acheter une nouvelle paire de sabots ou de galoches ; il y avait une boutique au bourg ; un jour, alors qu'il y était entré seul, Lili avait trouvé plein de gens pleurant à grosses larmes et ne savait plus où se mettre (NDLR on venait d'apprendre que le mari de la fille de la maison était mort en Algérie).
Lili aimait bien la boutique d'à côté que l'on appelait chez Gallo ; le mot "quincailler" était totalement inconnu (encore un nom bizarre !). A l'époque de la construction de la maison neuve, on avait souvent envoyé Lili y acheter des pots de peinture, des bidons de carboni, des outils, des vis, rivets, clous et pointes (qui étaient vendus au poids dans des pochons de gros papier)... A lui de se débrouiller pour charger tout cela sur le guidon ou/et le porte-bagages de son vélo.
Notre directeur d'école hésita sur certaines activités. Un recteur, un prêtre, ou un vicaire, étaient des "curés"; d'accord pour çà, et les bonnes soeurs alors ? Pas facile, certaines faisaient l'école au bourg et il y en avait une qui faisait les pansements, ce qui pouvait laisser supposer qu'elle était "infimière". Dans quelle catégorie, pouvait-on ranger le "bedeau", le "sacristain" ? Le métier de l'homme du cimetière était par contre clairement identifié: "fossoyeur".
Notre voisin Jobig, qui vivait avec sa mère (née le 1er janvier 1901), n'avait jamais été en école d'apprentisage, mais il s'était trouvé quelque chose que ne faisait personne: il allait chez les gens "réparer les sommiers et les matelas", ce qui était un métier nouveau (NDLR jusque-là, on dormait plutôt sur des sacs remplis de balle d'avoine). Monsieur Thomas ne savait pas vraiment comment nommer ce métier. Il buta aussi sur le "rebouteux" et la "cartomancienne" de Kersalut.
Bien entendu, on ne pouvait laisser de côté le solitaire du château de Plaçamen - une situation unique. Son métier donna lieu à de vives discussions. Il ne travaillait pas dans un champ, mais faisait pousser des légumes, des fleurs, des pommes et des poires, et bien d'autres choses, non pas dans un jardin, mais sous un grand toit tout en verre. "Jardinier" avait tranché catégoriquement monsieur Thomas, mais nous n'étions pas d'accord. Notre instituteur nous dit qu'il passerait le voir à l'occasion, un jour où il aurait à se rendre à l'école voisine de Kerouze.
Ce fut une demie journée de classe fort instructive et de plus en plus captivante. J'appris un mot à la sonorité délicieuse, malheureusement peu usité, "chaumier", et d'autres qui sonnaient bien aussi comme "tonnelier" ou "vigneron". Ce dernier métier n'était pas simple pour des petits Bretons comme nous ; c'était celui d'un paysan qui cultivait la vigne sur des terrains en pente au soleil ; il récoltait des grappes de raisins encore accrochées aux branches (non, ce n'étaient pas des arbres comme les pommiers) ; il faisait du vin qu'il laissait vieillir longtemps et qu'il vendait après en bouteilles, pas dans des barriques, mais ce n'était pas un marchand de vin !
Et puis quelques autres encore comme "maréchal-ferrant". Nous avions à côté de chez nous une forge ; pour les enfants, la forge était en premier lieu une haute maison où une mémée toute grise se tenait derrière un comptoir immense sur lequel étaient posées deux grandes bonbonnes (en verre) de berlingots un peu moisis qu'on ne trouvait que là-bas (mon cousin Jean-Yves disait qu'il dataient d'avant la guerre, ce qui ne l'empêchait pas d'en avaler comme moi). Il y avait un écriteau règlementant les débits de boissons, mais il n'y avait plus de clients à l'exception de ceux qui avaient un cheval à ferrer ; le coup de vin rouge (d'Algérie) allait de soi avant de reprendre la route. A l'occasion, notre "forgeron" était aussi capable de faire une piqûre au cheval avec une énorme seringue; c'était bien sûr illicite, et les enfants savaient à quoi s'en tenir, mais on n'allait pas faire venir un "vétérinaire" qui coûtait si cher ; et demandez-donc au cheval s'il voyait la différence!
Dans un tout autre domaine, nous fûmes abasourdis d'apprendre que "marchand de poissons" était un métier ; cela s'appelait "mareyeur". Comment pouvait-on faire un métier d'une activité qui consistait à vendre du poisson que l'on n'avait pas pêché soi-même ? Notre marchand de poissons – aussi impopulaire que son prédecesseur - arrivait en vélo au milieu de l'après-midi, de la fougère dépassant de son porte-bagages. Nous lui faisions remarquer que son poisson était sorti de l'eau depuis longtemps (NDLR il avait été pêché le matin!) ; nous lui demandions toujours s'il avait du bar (que nous n'aurions pas acheté, car considéré comme trop cher pour nous) et nous finissions par lui prendre un ou deux tacauds, ou de petits maquereaux, ou encore en été deux douzaines de sardines, plus rarement un joli merlan qui était pourtant un poisson fort apprécié.
Devant notre enthousiasme, notre directeur d'école se prit au jeu et la séance eût des allures de récréation. Dans l'hilarité générale, les mots fusaient : "trafficker zaout" (refusé), "pilhaouer" (accepté), "bohémien" (refusé), "clown", "jongleur", "prestigitateur", des "artistes" dit monsieur Thomas qui dut prendre sa grosse voix pour faire admettre que les bohémiens ne faisaient pas un métier de voleurs.
Parfois notre maître d'école dut reconnaitre qu'il ne savait pas et qu'il lui faudrait réfléchir. Au port de Brigneau, il y avait un chantier de réparation des pinasses, et au Belon, il y avait Job qui construisait de ses mains des bateaux de pêche tout en bois ; comment s'appelaient donc ces métiers ? Monsieur Thomas, qui était de Brest, nous répondit qu'il avait connu là-bas un "charpentier de marine", mais c'était quelqu'un qui travaillait à l'arsenal sur de grands voiliers. Pour se rattraper, il nous apprit le mot "docker", mais personne ne comprit en quoi cela consistait.
A la fin, nous en avions plein la tête. Nous fûmes définitivement assommés par "ostréiculteur" ; pas croyable ! Qui donc avait bien pu inventer un mot pareil ? Nous étions tous prêts à parier que personne dans le parc à huîtres de chez Robet ne connaissait ce nom de métier.
Le narrateur de ce témoignage de souvenirs d'une autre époque n'a d'autre ambition que de vous distraire un moment. Dans cette optique, il a gardé le meilleur pour la fin. L'un des tud huel de l'association se reconnaitra sans doute en souriant. Un mot totalement inconnu déclencha dans toute la classe un éclat de rire assourdissant. Notre instituteur s'y attendait peut-être un peu ; il prit son temps pour articuler de façon à être bien entendu : "on ne dit pas le lambic, ou l'homme du lambic, mais "bouilleur de cru". Il en pensait plutôt du bien, en rappelant que ce produit de nos vergers était utilisé avec bienfait pour guérir aussi bien les blessures que de nombreuses maladies, en premier lieu chez les enfants.