Histoire
Guerre 14-18
Guerre 14-18
‘‘Mes impressions de Guerre 1914-1915-1916-1917 - 5e Cuirassiers 9e D.C. et 1er Dragon 37e D.I.’’
Bernard Boudic
Il ne faut pas chercher dans ce petit fascicule une histoire de la guerre ni un récit des batailles auxquelles j’ai pris part. Je laisse ce terrain à des gens plus compétents qui ne manqueront pas de publier des ouvrages de la sorte, après la guerre. J’ai simplement voulu rappeler mes impressions dans les évenements et les actions qui m’ont le plus frappé, et donner un aperçu du changement moral et physique qui s’opère en moi par le fait de la guerre.
J’avais 17 ans lorsque la guerre éclata (1) ! J’étais donc à l’âge où le potache n’a en perspective que cette vision sombre et horrible, celle des examens, et où il mène une existence sévère, calfeutré dans une véritable prison que l’on a l’habitude de nommer collège ! Je n’ai vécu, Dieu merci, que deux années cette existence, mais cuirassé comme je le suis aujourd’hui par la vie militaire, je puis dire que ces deux années d’internat seront mes plus horribles souvenirs de jeunesse.
Hubert de Beaumont à Plaçamen (vers 1934)
J’attribue ces impressions à la vie plutôt libre et au grand air, que j’avais menée jusqu’à 15 ans, et au milieu très commun des « fauves » de « l’Institution ». Ma plus grande souffrance, à ce moment-là, fut le manque d’air. Je sentais en moi le besoin de me détendre, j’aimais tant le sport !
J’en suis toujours à me demander, comment les jeunes gens peuvent trouver la force de mener, dix ans et même plus, la vie de pensionnaire !
Je dirai, néanmoins, que le temps que je passai au collège, fut précieux pour moi ; je m’en rends bien compte aujourd’hui. Il me préparait en tous points au service militaire, surtout par l’esprit de discipline (qui ne m’a jamais manqué d’ailleurs) puis par le milieu très commun, comme je l’ai dit, de sorte que la transition de civil à militaire ne fut pas trop brusque. Ayant vécu chez moi, plus longtemps que mes camarades en général, je me sentais au dessus de mon âge et j’étais de fait, plus vieux et plus sérieux. Enfin, de corpulence et de santé solides, habitué au cheval et aux armes depuis mon enfance, j’étais donc, en tous points, capable de faire un cavalier (militairement parlant) en août 1914 !
« Je rentrai à Plaçamen, au grand trot ; triste et abattu »
Je vis tour-à-tour partir de chez moi le maître d’hôtel, les hommes d’écurie, le valet de chambre, puis mon père. Le jour de la mobilisation, l’idée m’était venue de m’engager dans le régiment de mon frère (2), mais réfléchissant bien, car je sentais que pour de tels actes, il faut tout peser sans parti pris, je compris que c’était impossible. La loi n’acceptait pas les engagés de 17 ans. J’en vins même à douter de mes forces ! Je changeai brusquement d’avis quand un journal m’apprit, le 11 août, la faculté accordée à la classe de 1917, de contracter un engagement.
Cependant, j’attendais, sans rien dire, sans oser en parler à mon père, car peut-être me considérait-il encore comme un enfant ! Mais lorsqu’il m’apprit qu’il partait au 25e dragons (3), je n’y tins plus et lui dis : « Et moi ? ». Je m’attendais à un sourire, mais non, il répondit sérieusement : « Je t’en recauserai ». Le lendemain, nous eûmes un entretien et il me fit comprendre qu’il fallait attendre et que je pourrais rendre des services chez moi.
Je le vis partir et le conduisis à la gare. Je me forçai pour lui dire au revoir en souriant, mais quand le train partit et que sa haute silhouette sur la plate-forme disparut au tournant, je me précipitai dans la wagonnette (4) et ne pus retenir mes sanglots ! Je rentrai à Plaçamen (5) au grand trot, tout triste et abattu. Mon cœur n’avait jamais encore été déchiré de la sorte !
Plaçamen en Moëlan-sur-Mer
« Le grand malheur qui frappa ma famille »
Je restai donc le seul homme de la maison. Les premiers jours, je n’eus de goût à rien faire, puis petit-à-petit, je m’habituai à conduire ma mère et ma sœur à l’hôpital du Lézardeau (6) , c’était une occupation ! Pourtant, j’avais espéré mieux, et l’attente me semblait longue. Cela influa sur mon caractère et je me rendais compte que je devenais bourru par moments d’autant plus que je sentais ma présence totalement inutile. (La suite l’a prouvé d’ailleurs).
Château du Lézardeau à Quimperlé
Cette vie dura deux mois, jusqu’au grand malheur qui frappa ma famille (7). Je ne parlerai pas des tristes moments que je passai, du 10 octobre au 25 novembre, cela évoquerait de trop douloureux souvenirs ! Ils me firent rentrer en moi-même et devenir un homme !
La même vie recommença à Plaçamen. J’appris à conduire l’automobile, cela fit plaisir à ma mère, de circuler plus facilement. Mais au bout de quinze jours, le mécanicien partit et je me trouvai seul pour la voiture. Je fis de mon mieux. J’appris à connaitre le mécanisme, mais ce n’était pas tâche aisée, sans professeur ! J’avais la crainte horrible d’abîmer la machine que mon père aimait bien. Ainsi, je ne savais si je graissais trop le moteur ou pas assez, c’était pour moi de perpétuelles angoisses ! Je tins à cœur d’entretenir très propre la machine, et cela me donna du travail.
Nous sortions à peu près tous les jours et n’avions pas encore eu de pannes ! J’en étais content, mais une fois, en rentrant de Quimperlé, j’eus le malheur d’éteindre le moteur devant la poste de Moëlan, pour économiser un peu d’essence. Plus moyen de la faire repartir : cela venait de la magnéto. Je fus obligé de remiser la voiture dans la cour de l’école et de chercher un mécanicien à Lorient.
Cette aventure ne m’avait pas dégouté, bien au contraire, mais comme je l’ai dit, j’avais une telle frayeur de détraquer la voiture que je demandai à ma mère de reprendre l’ancien moyen de locomotion. Je trouvai un cheval qui faisait à peu près l’affaire et tout alla bien, jusqu’à mon départ pour Tours.
(1) Hubert de Beaumont, fils de René de Beaumont, est né le 29 janvier 1897 à Hennebont, 14, rue du Bourgneuf, où sa famille possède la villa « Les Terrasses » que son père a achetée pour être plus proche de ses terrains de chasse à courre. Il se marie le 30 juillet 1923 à Marie-Hélène Chandon-Moët. Il est décédé en 1974.
(2) Le frère d’Hubert, Guy, est alors lieutenant au 1er escadron du 18e régiment de dragons.
(3) Le père d’Hubert, René, s’engage le 21 août 1914, à la mairie de Quimper au 25e régiment de dragons d’Angers.
(4) Véhicule hippomobile.
(5) Le château de Plaçamen à Moëlan-sur-Mer.
(6) Dès le 8 septembre 1914, un hôpital auxiliaire ouvrit au château du Lézardeau à Quimperlé, alors propriété de Marthe de la Maisonfort. Il comprenait 20 lits. Il sera fermé en janvier 1916. Il était géré par une société d’assistance de la Croix rouge française, la Société de secours aux blessés militaires (SSBM). Son action s’ajoutait à celle d’un autre hôpital auxiliaire et à de nouveaux lits ouverts à l’hôpital soit une centaine de lits au total.
(7) Hubert de Beaumont évoque ici la mort de son frère Guy, lieutenant au 18e régiment de Dragons. Gravement blessé le 10 octobre 1914, dans les tranchées de Foncquevillers, près d’Arras, il décède le 15 novembre à l’hôpital auxiliaire d’Alençon. Il est inhumé à Moëlan le 25 novembre, en l’absence de son père qui s’est lui-même engagé à l’âge de 61 ans.