Les Moëlanais
Biographies
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Joseph Alphonse Marie Le Doze (1914-1967)
par Jean Conan (1932-2021)
Avant propos de Bernard Boudic (extrait d’un document écrit sur la vie d’Henri Conan)
C’est de là qu’il rend visite à son oncle, « Tonton Job Le Doze », de Kerdaniel, instituteur à l’école musulmane de Had Harrara, à 20 km au nord de Safi. Tonton Job s’est établi au Maroc à la Libération. C’est lui aussi un héros. Fait prisonnier par les Allemands à Epinal en 40, évadé, dénoncé à peine revenu à Moëlan, il fuit en Espagne, rejoint le maréchal Juin et l’armée d’Afrique, où il se lie d’amitié avec des soldats marocains. Après avoir perdu une jambe début 1944 à la bataille de Monte Cassino (Italie), il s’établit près de Safi. Le 21 février 1954, sa femme Jeanine photographie Henri. Job note au dos du cliché : « C’est la dernière image que nous avons de lui ».
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Job (Joseph) Le Doze (« notre tonton Job »)
Il naît à Kerdaniel en 1914, 4e derrière Louis, Soaz, Marie-Anne, et Hélène sera en 5e position.
Job a fait ses études primaires à Moëlan où il obtient son Brevet élémentaire.
Dirigé ensuite sur le Petit Séminaire de Pont-Croix (alors qu'il n'avait aucune aspiration religieuse).
Il part ensuite à Rennes à St-Vincent. Il est employé comme « pion » et obtient les 2 Bacs de l'époque.
Puis il est pion à St-Vincent (Rennes).
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Job à Saint Vincent Rennes
Puis c'est le service militaire (lequel devait être de 3 ans en ce temps là), et se retrouve chez les Zouaves (unité d'infanterie légère appartenant à l'Algérie) à Mazagan (El Jadida aujourd'hui).
C'est un port de pêche mais bien moins important que Safi.
Son service militaire n'est pas trop rude puisqu'il devient le précepteur du petit garçon du Colonel et est chargé aussi de faire de l'instruction scolaire à ses camarades.
Job pendant son service militaire
Septembre 1939
La France déclare la guerre à l'Allemagne. Job est envoyé sur le front de l'Est. Blessé en 1940, il est hospitalisé à Epinal (il lui manque un morceau de chair à l'omoplate droite. Il nous montrera sa cicatrice plus tard).
Convalescent ou pas, Job est envoyé en Allemagne où il travaille dans une usine. Il côtoie des jeunes Français qui n'ont pu échapper au STO (Service de travail obligatoire au service de l'Allemagne).
Il sympathise aussi avec un Hollandais. C'est lui qui lui fournira des vêtements civils qu'il portera le jour de son évasion.
Et c'est là que nous manquons énormément de précisions sur les lieux et dates des événements.
Dans quelle partie de l'Allemagne est-il prisonnier ?
Extrait de la liste officielle n° 68 des prisonniers de guerre français du 14 septembre 1940
En 1941 il s'évade et passe d’Allemagne en Belgique puis par la France occupée jusqu'en Bretagne.
Ce que l'on sait c'est que ce sont des gens du voyage qui le cache et lui font passer la frontière.
Ce dont nous nous souvenons de son récit oral c'est qu'il monte dans un train, dans un wagon rempli de charbon ! C'est ainsi qu'il arrive Paris. Quelle gare ?
Des cheminots le prennent en charge, l'hébergent, lui fournissent des vêtements et des papiers et le « mettent » dans un train direction la Bretagne .
Arrive à Quimperlé sans encombre (voir le texte écrit par Job dans une lettre) et fera Quimperlé Moëlan à vélo.
A t-il été dénoncé ? Oui, sûrement.
Là, je sais comment il a été prévenu : les Allemands se sont présentés chez les Le Doze du bourg, où effectivement il y a un « Joseph Le Doze » (frère de Marcel Le Doze).
Ces Messieurs s'aperçoivent très vite, que ce n'est pas l'homme qu'il recherche.
Mais c'est un homme très agréable, et d'une érudition rare à l'époque.
C'est donc lui qui sur son vélo fonce à Kerdaniel et prévient son cousin de se « planquer » ou de partir.
Il a donc été dénoncé et s'enfuit tout de suite, direction le Sud.
Par qui a t-il été dénoncé ? Pour lui, pour nous c'est une certitude mais malgré cela il restera un doute. D'ailleurs Job, lui-même dira à son retour : « s'il n'y avait pas ce petit doute, je le tuerai moi même ». Alors qui était cet affreux bonhomme ? C'était un nommé X, il était du quartier et nous savions qu'il était très jaloux de la prospérité de Kerdaniel.
Job est arrivé à Marseille. Pourquoi n'embarque-il pas sur un bateau pour rejoindre l'Italie au lieu de suivre une filière indiquée par les dockers, filière qui, par les Pyrénées permet de rejoindre l'Espagne .
Le voilà donc en Espagne mais Franco emprisonne les fugitifs, surtout Français.
Combien de temps reste-t-il captif dans ces prisons réputées très malsaines. On ne sait pas.
Toujours est-il qu'il en sort libéré (ou évadé ?) et trouve un embarquement sur un vieux cargo qui marche au charbon et est engagé en tant de « chouf » c'est-à-dire à l'alimentation des chaudières.
Il arrive ainsi en Italie, mais où débarque t-il ? On sait qu 'il rejoint l'armée du Général Juin du côté de Cassino où se battent les Forces anglo-Américaines aux côtés des soldats Nord-Africains.
Les combats ont lieu entre janvier 1944 et 18 mai 1944.
Quel était l'intérêt stratégique de ces lieux ?
Et c'est là, qu 'il perd sa jambe en sautant sur une mine. Tous les blessés de Cassino sont rapatriés sur l'hôpital de Casablanca par avions sanitaires de l'Armée.
C'est là, sans doute qu'ils reçoivent la visite du Maréchal Juin, et leurs décorations.
Le Général Juin sera nommé Maréchal en 1952.
La Légion d'Honneur pour Job.
C'est dans cet hôpital qu'il fera la connaissance de Jeanine Lavalade qui aide bénévolement les soignants auprès des blessés. Ils se marieront en 1945. Jeanine est la fille unique d'un commandant des troupes marocaines qui a pris sa retraite à Souk-el-Had-Hararas dans le bled à 30 km de Safi, où il possède une ferme avec élevage de moutons.
(La mère de Jeanine était née De Laulanié, petite noblesse du Sud Ouest où la famille possèdait son petit Château à Gourette, Pyrénées Atlantique).
Joseph et sa femme Jeanine
A 500 m de la ferme , il y a une école primaire dont Job deviendra le directeur et enseignera le Français.
Plus tard, il sera nommé à Safi dans l'école franco-mulsumane « Trab Sini » où il enseignera toujours le Français.
Safi - Le Fort portugais et une partie de la médina
Il est très respecté aussi bien de ses élèves que des gens de Safi, parmi lesquels se trouvent d'anciens soldats qui se sont battus avec en Italie. A tel point qu'un jour il se fait voler son porte-monnaie, vite retrouvé par « les anciens d’Italie » celui qui l'a volé se fait bien bastonner.
« On ne touche pas à M'sieur Job ! »
Visite d’Henri Conan (au centre) à Safi
Visite de Jean Conan (jeune marin) à Safi à l’oncle Job en 1950
Job, Jeanine et Me Lavalade viendront à Moëlan en 1949 et logeront chez nous pour une dizaine de jours. Séjour qui s'est bien passé. Madame Lavalade est une femme très simple et aide volontiers aux travaux ménagers et à la cuisine.
Job souffre énormément de sa prothèse qui ne s'applique que sur un moignon de cuisse.et rien à voir avec les prothèses actuelles. De plus comme tous les amputés de l'époque il souffre de « la présence de la jambe absente ». Ce phénomène est je crois, aujourd'hui très atténué.
Job lâche souvent sa prothèse et se promène même jusqu'à la côte, qu'il a toujours aimée avec ses béquilles avec lesquelles il est d'une agilité et d'une souplesse étonnante.
Oui, il a une pension invalidité mais à ce sujet, il y a une injustice incroyable : la pension d'invalidité d'un officier amputé d'une jambe est 4 fois supérieure à celle du soldat dans le même handicap ! Eh oui, la jambe du soldat ne vaut pas celle d'un offcier !
J'ignore si cette aberration existe encore, mais beaucoup d'officiers eux-mêmes se sont élevés contre cette injustice .
L'indépendance du Maroc est proclamée en 1956.
Job continue à vivre à Safi, mais Jeanine comme en général les propriétaires terriens français doit abandonner ses biens. Mais il y a une compensation substantielle : le Maroc y contribue pour une petite part, le reste est payé par l'état français.
Quand Jeanine et Job ont-ils divorcés ? Jeanine, son fils Jean François né en 1947 et sa mère s'établissent à Bordeaux et ouvrent un commerce de laine et mercerie.
L’oncle Job début des années 60 à Safi
Il décède en 1967 dans l'incendie de sa maison (nous étions à Hourtin). Dans la presse locale, le titre était : « Mort mystérieuse d'un enseignant français à Safi », aucune enquête n'a été ouverte. Le curé de Safi (un breton) et 3 usiniers de Safi (tous bretons) s'occupent des obsèques. Par la suite la tombe sera toujours entretenue et fleurie par eux et ses anciens compagnons d'Italie.
Tante-Hélène (sœur de Job) qui aura l'occasion d'aller au Maroc avec les « Halloul » (famille marocaine installée à Brest) le constatera.
Le Sultan Mahamad V sera déposé par les autorités françaises. Il sera exilé d'abord en France, puis à Madagascar.
Avec le Georges Leygues, en 1950 nous le transporterons de Casablanca à Bordeaux.
Son fils l'accompagne et deviendra plus tard le roi Hassan II.
Le Sultan fera un séjour assez bref en France.
Pourquoi cet exil ? Nous n'avons pas été mis dans les confidences de ces histoires politiques. Si l'Algérie était composée de départements français, le Maroc n'avait pas la situation de colonie mais un protectorat, ce qui explique l'ingérence de la France dans ces affaires curieuses de Sultan « déposé ».
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Jean Conan était présent sur le Georges Leygues lors de l’exil du sultan Mohamed V avec son fils le futur roi Hassan II.