Les Moëlanais
Biographies
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Marie Julienne Kerlann (1876-1957)
Camille Kerlan (février 2021)
Marie Julienne Kerlann est née le 23/08/1876 à Lanbeurnou en Moëlan. Elle était un des 11 enfants de François Kerlan né en 1834 à Riec et de Marie Magdelène Le Deredel née en 1843 à Moëlan, tous deux cultivateurs à Lanbeurnou où ils sont décédés en 1921 et 1922. Ses parents avaient d'abord vécu à Kersperc'h en Riec (proche de la sablière de Keristinec sur la rive droite du Belon) où ils avaient eu quatre enfants : Jacques (1862), Marie Anne (1863), Marie Magdeleine (1866) et Marie Louise (1868). Vers 1870, ils étaient venus s'installer à Lanbeurnou dans la ferme des parents Le Deredel. Sept autres enfants sont nés à Lanbeurnou : Marie Anne (1871), Marie Madeleine (1872), Marie Julienne (1876), Marie Françoise (1878), Marie Angéline (1881), Jean Marie (1883) et Marie Philomène (1885). De 1872 à 1881, le nom de famille est orthographié KERLANN sur l'acte de naissance. A noter que François Kerlan signait les actes de naissance de ses enfants ce qui était rare pour l'époque.
Marie Julienne Kerlan
Marie Louise Kerlan s'est mariée en 1889 avec Joseph Narpon, un cultivateur de Keryoualen. Joseph était l'aîné de neuf enfants. Sa soeur Marie Julienne avait 20 ans lorsqu'elle s'est mariée à Moëlan le 2 mars 1897 avec un frère cadet de Joseph, François Narpon (1867-1918), marin de l'Etat à Lorient. Ce dernier avait beaucoup navigué aux colonies et venait d'être promu quartier-maître chauffeur de 1ère classe.
Le couple a vécu à Keryoualen où Marie Julienne était cultivatrice et a donné naissance à deux enfants, Marie Louise en juillet 1901 et François Haster en février 1905. Félix Evennou de Chef-du-Bois fut un des témoins de la naissance de ce dernier.
L'ancienne chaumière Narpon à Keryoualen, la Ty-couz construite en 1811.
La construction d'une deuxième maison Narpon à Keryoualen doit dater de cette époque. C'était une grande longère avec un toit recouvert d'ardoises et une façade crépie dès sa construction, ce qui était peu fréquent à l'époque ; les murs étaient en belles pierres de Moëlan (du gneiss peut-être ?) disposées de telle sorte que leur bon côté était tourné vers l'intérieur de la maison. Au rez-de-chaussée, il y avait quatre grandes pièces dont les deux centrales, séparées par le couloir d'entrée, étaient habitées, l'une le jour, l'autre la nuit. Le sol était de terre battue, mais il était recouvert d'un linoléum dans la chambre où on entrait en laissant ses sabots dans le couloir cimenté. Les deux autres pièces étaient à vocation agricole. L'une d'elles, la cave, était la seule à avoir une porte fermant à clef ! L'étage n'était pas cloisonné et s'ouvrait vers l'extérieur par une série de cinq jolis fenestrons encadrés de pierres de taille comme toutes les ouvertures. Il n'y avait pas de cheminéee, ce qui à l'évidence fut un choix prenant en compte l'isolement de la maison (crépi extérieur...). L'eau courante (ou presque) était tirée d''un puits tout proche qui semble être contemporain de la maison, ce qui évitait d'aller jusqu'à la fontaine distante de 200 m et seulement accessible par des gwinojennou fort malaisés. Ce puits a dû déterminer la localisation de la maison, quelque peu éloignée de la ti-couz construite en 1811 où logeait la famille Narpon.
La maison de Marie Julienne Kerlann à Keryoualen
En 1903, tout allait pour le mieux ; François était promu second-maître le 1er avril ; pas mal pour quelqu'un qui n'était pas allé à l'école ! Le ciel s'assombrit sérieusement après la naissance de son fils en 1905. François était alors en Indochine ; deux visites médicales à Saïgon diagnostiquèrent une otite sévère avec perforation du tympan et demandèrent son rapatriement. A Lorient en 1906, la commission de réforme le déclara impropre au service de la Flotte et il fut admis en retraite proportionnelle avec une pension militaire.
Le parcours de retraité de François est assez confus. Un extrait de la matricule des gens de mer, à Lorient le 25 février 1907, déclare qu'il est autorisé à s'embarquer sur des navires de commerce. Mais les autres documents, y compris celui de son décès en 1918, mentionnent François comme cultivateur. En 1906, il était recensé patron propriétaire sous le même toit que sa femme, ses deux enfants (5 et 1 an) et son frère Mathurin, également marin retraité et cultivateur.
A l'évidence, en ce temps-là, on se contentait de pratiquer une agriculture d'auto-subsistance : une, deux ou trois vaches pour leur lait et leur beurre, des poules pour les oeufs, un cochon pour le lard salé conservé dans le charnier qui avait toute sa place sous l'escalier du grenier ; et tous les légumes venaient du jardin.
Marie Julienne a donc eu sa famille à ses côtés pendant quelques années, mais en 1910 elle perdit sa fille Marie Louise emportée par une maladie à l'âge de 9 ans. En 1911, ils n'étaient plus que trois dans la maison, Mathurin étant parti habiter dans la maison du bas chez sa soeur Marie Louise. Ses trois neveux furent mobilisés en 1914 et deux au moins envoyés en première ligne, mais ils en revinrent avec bras et jambes et la photo d'un autre cuirassé de guerre (au dos, il était marqué dardanelles Turquie). François s'éteignit le 8 avril 1918. Marie Julienne se battit pour obtenir une pension d'invalidité, mais le parcours de son dossier entre Doëlan et Lorient connut bien des vicissitudes.
Devenue tutrice de son fils, Marie Julienne dut se rendre à Pont-Aven le 2 mai 1918 pour un conseil de famille chargé de nommer un subrogé-tuteur. Que de soucis et quel grand voyage ! Il fallut se lever de bon matin pour ne pas rater le train qui arrivait de Quimperlé et s'arrêtait de l'autre côté du cimetière. Elle avait mis sa plus belle coiffe du dimanche et le tablier de Moëlan ; elle était accompagnée de son beau-frère Job Narpon et de deux cousins par alliance qui habitaient aussi à Keryoualen, Corentin Tanguy et François Le Maout, l'un et l'autre seconds-maîtres en retraite comme François. Sa soeur Marianne de Lanbeurnou était déjà montée dans un wagon à la halte de la forêt de Clohars. Après, il n'avait fallu qu'une demie heure pour arriver à Pont-Aven, à peine le temps de sortir de son panier les galettes beurrées qu'elle avait préparées la veille pour le voyage. Pour les horaires, le coût du billet et le nom du chef de gare à Moëlan, voir l'article sur notre site. Les Moelanais étaient attendus à 11 h en mairie de Pont-Aven. Aucun d'eux ne comprit grand-chose à ce que leur raconta monsieur le juge de paix, mais tous approuvèrent sa décision et signèrent la feuille que leur tendait le greffier – le métier de celui-là, c'était seulement d'écrire sur des papiers ! Le rôle de tutelle fut confié comme convenu à Joseph Narpon.
Le train du retour n'était qu'à 5h20 ; on avait le temps d'aller manger et goûter le cidre de Pont-Aven, peut-être aussi d'aller s'acheter une boite de Traou Mad (1) dans la boutique du Grand Bazar. Ils entendirent parler du chansonnier Théodore Botrel, l'homme le plus connu de Pont-Aven à l'époque, celui du pardon des Fleurs d'Ajonc. Ils descendirent jusqu'à la rivière et furent intéressés par le grand moulin du port (NDLR le 14è, aujoud'hui Le Grand Poulguin) dont l'imposante roue baignait dans l'eau de mer à marée haute. L'hôtel Julia, ce n'était pas pour eux. Tout cela ferait bien des choses à raconter le lendemain au lavoir. C'est vrai que les coiffes du pays de l'Aven étaient belles, mais leur cidre là-bas n'était pas meilleur que celui de Moëlan !
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Marie Julienne eut la satisfaction de voir son fils décrocher en 1920 le prestigieux certificat d'études, mais le 29 avril 1928 le garçon fut comme sa soeur emporté par une maladie de type tuberculose (non soignable à l'époque, les antibiotiques étant encore très peu connus). Il était aussi entré dans la Marine, mais en 1926, il fut comme son père réformé ; il était pensionné à 100% et une indemnité de 7000 francs en date du 2 avril 1928 lui était allouée. Marie Julienne adressa aussitot une demande de secours à l'Intendance Militaire du Service des Pensions à Brest, demande qui ne fut pas rejetée, semble t-il.
A 52 ans, Marie Julienne était définitivement seule. Elle avait sur les bras une ferme dont il lui devenait difficile de tirer profit. Elle décida de louer à son neveu Yves Narpon, le fils aîné de sa soeur décédée en 1919, ses terres et deux "immeubles, l'un servant de cave, l'autre d'écurie". Yves était marin-pêcheur à Doëlan, mais son épouse, Maryvonne Tocquec, était une cultivatrice venue de Kervaziou. Marie Julienne ne put cependant se séparer de son magnifique pressoir qui ne fut cédé qu'à titre de prêt à durée limitée et à la condition que son cidre soit brassé !
Les termes de ce bail - consenti pour le prix annuel de 800 francs - livrent un bon témoignage sur le mode de vie à cette époque dans la campagne moëlanaise. Ils témoignent de l'importance du bois de combustible et de celle du cidre qui était sans nul doute la boisson que l'on buvait au quotidien et que l'on servait lorsqu'on avait de la visite. Les époux Narpon s'engageaient à fournir l'engrais pour le verger situé en face de la maison dont Marie Julienne restait la gérante. Les variétés étaient la Douzeg Moën et la Douzeg Briz, entre autres.
Un autre acte manuscrit enregistré à Pont-Aven à la même date du 15 mai 1928 fait état d'un bail à ferme consenti à mademoiselle Marie Janin, fille-mère ouvrière logée à Keryoualen Huel (NDLR dans une maison qui fut plus tard occupée par le Breton de Paris Charles Le Quintrec). Pour 300 francs/an, Marie Julienne louait "un bout de maison côté Est" comprenant un rez-de-chaussée avec grenier et une parcelle de 100 m2 de terre labourable. Le recensement de 1931 atteste que trois personnes habitaient la maison : Marie Julienne, Marie Janin, 34 ans, journalière, et sa fille Francine âgée de 7 ans. La promiscuité ? Bah ! en ce temps-là, deux pièces et un grenier pour deux personnes et une enfant, c'étaient des conditions enviables pour beaucoup de familles ; à Lanbeurnou, ils n'étaient pas moins de onze enfants et on n'avait encore inventé ni salon, ni salle de bain ou coin lecture, encore moins le dressing ! En 1936, Marie et Francine Janin étaient recensées à Kergostiou. Madame Narpon était absente lors du recensement, ce qui lui a peut-être valu d'être curieusement enregistrée sous le nom de Marie Julienne Kerlou.
Quand elle a arrêté de travailler, Marie Julienne laissait des bâtiments agricoles dotés d'aménagements assurément novateurs à l'époque de l'entre-deux-guerres, entre autres un système motorisé de transmission faisant fonctionner plusieurs appareils de broyage.
Pressoir et broyeurs fonctionnaient encore dans les années 1950-60. Quel enfant d'aujourd'hui connait-il les senteurs qui se dégagent de l'ajonc broyé ? C'était la saison où la lande de Menc'hir était parsemée de jolies fleurs jaunes entre le Mardi Gras et la Foire des Vieilles de Quimperlé. L'ajonc broyé et mélangé dans un demi-seau d'eau, c'était pour le cheval qui en raffolait et avalait le tout gloutonnement avant de relever la tête en soufflant bruyamment dans ses naseaux. Unique !
Bouquet d'ajonc fleuri en bord de mer
En bout de maison, à côté du puits, une pièce était devenue une porcherie dont le purin s'écoulait au vu de la route, ce qui alors ne gênait absolument personne ! Le purin était même très demandé, car il servait d'engrais pour les jardins. Les petits cochons étaient achetés au marché de Quimperlé et engraissés jusqu'à atteindre 100 kg ; chaque année à l'automne, l'un d'eux était tué par un jovial inconnu venu de Clohars ; le boudin (avec du chou vert) était délicieux, le pâté aussi qui était cuit chez Armand à Langroës dans le four de la boulangerie ; par contre, les andouilles fumées dans la grande cheminée de la ti couz étaient moins réussies et furent abandonnées.
De l'autre côté de la maison, bordant la leur où on faisait le battage, il y avait un hangar en tôles. Un jour d'été (vers 1955), on entreprit d'y remiser la première auto arrivée à Kerhuiten depuis une colonie d'Afrique, mais l'entrée, assez large pour une charette, ne l'était pas assez pour y faire entrer une immense Américaine décapotable. Il fallut enlever une, puis deux tôles, mais les bonnes volontés ne manquèrent pas dans le village. Les gens de l'Afrique surent se montrer reconnaissants.
Marie Julienne vit arriver l'électricité à Keryoualen et en régla la première facture en 1952. Quatre enfants, dont l'auteur de ces lignes, sont nés dans sa maison entre 1946 et 1953.
Marie Julienne a fini sa vie dans la maison neuve construite à l'autre bout de son jardin en 1953-54 ; elle y est décédée le 26 mars 1957. Elle était très appréciée dans le village et tous, jeunes et vieux, emboitèrent le pas au cheval qui menait son cercueil à l'église. Le curé et ses enfants de coeur, en grande tenue, s'étaient déplacés jusqu'à Pont ar Laer, ce qui fut unanimement remarqué ; le lendemain, on en parlait encore autour du lavoir ! En 1936, Marie Julienne avait acheté une concession perpétuelle au cimetière (coût : 1499 francs et 99 centimes ! ) ; il est étonnant que sa fille n'y soit pas mentionnée. Sa tombe est toujours régulièrement fleurie.
(1) NDLR : les « Traou mad » ne sont apparues qu’en 1920.
Ce rameau KERLAN se trouve sur la même branche que les KERLAN (Marie et sa fille Angélina) cités dans le livre de Bernard Boudic ("Un château en Bretagne", Coop Breiz 2015). Les grands-parents paternels de Marie Julienne (Jacques Kerlan x Marie Anne Le Cotonnec) étaient les mêmes que ceux de Louis Kerlan venu de Riec à Moëlan cultiver une des métairies du comte de Beaumont à Kerel. Les parents de Marie (Marie Magdeleine) se sont établis à Kerel vers 1903, les parents de Marie Julienne étaient à Lanbeurnou vers 1870.
L'herbe était-elle plus verte à Moëlan ? Jeanne Marie KERLAN (1845-1906), une cousine de Marie Julienne, avait déménagé de Kersperc'h en Riec à Chef-du-Bois en Moëlan vers 1900. Elle était recensée en 1906 à Chef du Bois avec son second mari Félix Evennou, deux enfants et un domestique natif de Riec. Elle est décédée à Chef-du-Bois.