Les Moëlanais
Biographies
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Henri Le Gac dit Nimbus (1915-1989)
de Kerandrège au Bélon
Bernard Boudic
Casquette de marin-pêcheur toujours vissée sur le crâne, revêtu d’une vareuse, bleue les jours de semaine, cachou le dimanche, les doigts occupés par sa rouleuse à tabac qui remplaça la pipe, Nimbus, de son vrai nom Henri Le Gac, était un petit bonhomme facétieux qu’il était difficile de ne pas prendre en affection.
D’où lui vint ce surnom ? Peut-être de la bande dessinée (comic strip) créée par André Daix (André Delachenal) en 1934 pour « Le Journal ». Accusé à la Libération de collaboration et d’antisémitisme (il appartenait au parti franciste de Marcel Bucard), André Daix s’enfuit au Portugal puis en Amérique latine avant de revenir en France où il mourut le 27 décembre 1976. Son personnage de Nimbus fut repris d’abord par le russe Léon d’Enden puis par plusieurs autres dessinateurs signant d’un pseudonyme commun, Darthel. Après-guerre, « Les aventures du professeur Nimbus » fut la série la plus publiée dans les journaux quotidiens et l’une des plus populaires. Dans les années 50 et 60, elle fit les beaux jours du « Télégramme ». Mais il n’y avait guère de trait commun entre le professeur Nimbus et le marin-pêcheur Henri Le Gac…
Marin sur le « Cœur Vaillant »
Né à Kerandrége le 2 juillet 1915 d’un père marin-pêcheur et d’une mère qui travailla comme lingère au château de Plaçamen, Nimbus fut marin-pêcheur, sur le « Cœur Vaillant », sous les ordres de Pierre Audren.
Construit en 1950, inscrit au quartier maritime de Concarneau où il fut immatriculé 4662 CC, peint en gris et rouge, le « Cœur Vaillant » fut basé d’abord à Brigneau puis au Belon, quand son patron se maria et suivit sa femme de Kerglien à Kermeur Bihan. Le « Cœur Vaillant » était alors le seul bateau du Bélon à disposer d’une cuisine. Et Henri Le Gac en était le cambusier. Bossu à cause d’un mal de Pott dû sans doute à une tuberculose mal soignée, les mains déformées par la maladie de Dupuytren qui lui tenait les doigts constamment fléchis au point qu’il ne pouvait s’en servir que difficilement, Henri travaillait plus souvent à la confection des repas pour l’équipage qu’à la manœuvre sur le pont ou à la remontée du chalut. Il y participait tout de même : à chaque retour de marée, ses mains portaient bien la trace des cordages humides et raides.
Chargé du ravitaillement du bord, Nimbus s’approvisionnait sur la route de Kerandrége au Bélon, chez Germaine Carriou (Germaine Tanguy) qui tenait bar, tabac, épicerie et allées de boules à l’enseigne d’Oh ! les boulistes à Kerdoussal-Vihan. « Le vendredi soir en rentrant à vélo du Bélon, raconte Nelly Tanguy (Nelly Le Roy), la fille de Germaine, il déposait sa liste de courses et son panier. Maman préparait le tout et le dimanche soir, il regagnait le bord avec ses provisions arrimées avec un tendeur sur son porte-bagages ». Ah ! Le tendeur ! « Henri savait que maman avait une peur bleue des serpents ; Un soir, il ne trouva rien de mieux à faire que de remplacer le tendeur par un serpent mort. Quand elle a pris ce qu’elle croyait être le tendeur, elle a poussé un hurlement : il était très content de lui ! »
« Oh ! Les boulistes »
Le dimanche, Henri passait l’après-midi à jouer aux boules sur l’une des quatre allées de Kerdoussal-Vihan, l’une réservée aux Chas Vourc’h (les gars du bourg), une autre aux « Gaulois » de Kerdoualen. Une troisième accueillait Milo Colin de Saminole (Saint-Guénolé), Nimbus, Albert et Jean-Marie Kerforn de Parc-man-Bail, Jojo Sellin de Kerandrége. Toujours les mêmes équipes. Milo et Nimbus arrivaient à vélo. Le soir, Nimbus regagnait directement le « Cœur Vaillant » après avoir lancé une dernière plaisanterie : « Allez ! prenez-en pour la semaine ».
Une fois revenu au port, la marée terminée, sa première visite était pour maman Léa (Léa Bihan) au Bélon. Puis il s’arrêtait à Kergroës et à Kerdoussal-Vihan où il laissait une partie de sa godaille, morgates (seiches) pour la petite Nelly, merluchons ou maquereaux pour sa maman. « Il connaissait bien mes goûts, raconte Nelly. Un jour – je devais avoir sept ans – j’étais tellement contente que je dis à ma mère, pensant qu’Henri était parti : « Un petit mari comme lui ferait bien mon affaire ». Je ne savais pas qu’il était toujours là ! Il en a bien ri. Il m’a taquiné longtemps avec ça ! »
Henri aimait les enfants. Il jouait avec eux en demandant : « Sais-tu comment s’épèle mon nom ».
- Bien sûr !
- Alors dis-le moi…
- C’est facile : G.A.C !
- Eh bien, si tu as assez je ramasse mes bonbons !
Bien sûr, il n’en faisait rien…
« Un vrai bonheur »
Dans les années soixante, une fois prise sa retraite de marin, et venu habiter Plaçamen chez Marie et Joseph Boudic, il laissa à leurs petites-filles Conan des souvenirs inoubliables : « Henri nous offrait des petits rouleaux de réglisse sortis de la poche d'un vieux veston accroché à un clou dans la remise, avec, au milieu, le petit bonbon de couleur ! Lorsque nous allions acheter du pain chez Ernestine, la boulangerie-bistrot de Milriden (Kervégant), et qu'Henri se trouvait au comptoir, il nous offrait des carambars ».
Avec peu d'outils, Henri réussissait à fabriquer en bois des petits sièges et bancs très simples. Nous les utilisions pour prendre notre goûter sous le pommier. Nous roulions beaucoup à vélo sur les petites routes et les sentiers côtiers, sans ménagement pour nos deux roues.
C'était toujours Henri qui réparait nos pneus crevés ! »
« Nous l’accompagnions dans le bois de Plaçamen ; nous semions des grains de maïs sur les sentiers pour nourrir les faisans. Nous menions notre mission avec grand sérieux ! Henri gardait les vaches, Caroline, Camélia et Frisonne, dans les prairies du château et changeait la litière du cheval et des vaches qui cohabitaient dans l'écurie. Nous apprenions qu'il était important que tout soit propre sous les animaux. Rejoindre Henri était un vrai bonheur ! »
Ronan Boudic - Nimbus - Camélia
Henri s’était pris d’amitié pour Joseph et Marie Boudic dès avant la mort de sa mère (mémé Gac), le 27 février 1956. Il partageait avec elle, à Kerandrège, au dos de la ferme de François Guéguen, une misérable petite maison d’une seule pièce au toit de tôle et au sol de terre battue. Près de la cheminée, un banc-coffre au lourd couvercle de bois servait d’armoire, de garde-manger et de table. C’est là qu’il passa son enfance avec ses trois frères et sa sœur.
Trois frères et une soeur
L’aîné de la fratrie, Mathurin-Joseph, né le 12 février 1898 à Kerdoussal-Vihan, successivement marin-pêcheur, marin de commerce et manœuvre, était un enfant naturel que les époux Le Gac – Joseph, né en 1873, et Marie-Françoise Noël, de six ans sa cadette –, reconnurent le 8 décembre 1916. Mathurin se maria le 18 août 1925 avec Marie-Joséphine Nerpon, née le 20 janvier 1908 à Kerascoët, qui mourut en couches, à tout juste vingt ans, le 25 janvier 1928. Il se remaria le 5 novembre 1934 avec Marie Andréo, de Nombrat, qui lui donnera trois enfants, Benjamin, Cécile et Anne-Marie. Lui-même est décédé le 30 juin 1976 à Moëlan.
Le deuxième frère d’Henri, Joseph, naquit le 31 octobre 1903. Il est mort pour la France le 6 juillet 1940 à Mers-El-Kébir, le port militaire d’Oran, où les Britanniques anéantirent une partie de la flotte française (1 297 morts et 350 blessés) pour qu’elle ne tombe pas entre les mains des Allemands. Engagé dans les fusiliers-marins, Joseph était devenu Cherbourgeois. Il se maria à Tourlaville le 6 novembre 1928 avec Clémentine Delahaye. Il se trouve, le 6 juillet 1940 à 6 h 15, lors de la deuxième attaque britannique, sur le chalutier patrouilleur auxiliaire « Terre-Neuve » de la 2e escadrille de patrouilleurs de Cherbourg. Celui-ci s’est amarré à couple du croiseur de bataille « Dunkerque », par tribord avant, pour en évacuer l’équipage.
Le croiseur de bataille « Dunkerque » après son torpillage : On aperçoit sur la gauche la brèche creusée par l’explosion des grenades anti sous-marins du « Terre-Neuve » dont le mât sort de l’eau au premier plan
Déjà une cinquantaine de matelots sont sur le pont du « Terre-Neuve » quand celui-ci est touché par deux torpilles lancées par des avions britanniques. Coupé en deux, le chalutier coule. La passerelle vole en éclats. Quelques instants plus tard, une violente explosion, provoquée par quatorze des quarante-quatre charges de profondeur (grenades anti-sous-marins) du « Terre-Neuve », soit l’équivalent de huit torpilles, secoue le « Dunkerque » à tribord au niveau de la proue, provoquant une brèche et une gigantesque colonne d'eau de plus de 100 m. On déplore 40 morts et 30 blessés dont les huit marins du Terre-Neuve. Le nom de Joseph Le Gac est porté sur le monument aux morts de Moëlan-sur-Mer comme ceux de deux autres marins du « Dunkerque » décédés à Mer-el-Kébir, le 6 juillet 1940, Yves Guerroué, quartier-maître mécanicien, et André Moncus, quartier-maître armurier.
Le troisième frère d’Henri, François-Marie, naît le 19 février 1906 et meurt à 19 ans, le 4 février 1925, à Douala (Cameroun).
Sa sœur, Louise, naît le 23 février 1922. Elle part à Paris où elle se marie le 27 septembre 1952 à la mairie de Vanves à André Tisserand. Elle est la mère de Jean-Claude Le Gac, qui devint garçon de café à Nancy après un service militaire effectué à Madagascar en 1959-1960.
Roi des célibataires
Dans les années cinquante et soixante, Nimbus ne manquait pas une foire des Vieilles, le lundi de Pâques à Quimperlé qu’il gagnait à vélo, ni un pardon de Toulfoën ni une kermesse de Saint-Philibert à Moëlan. A la même époque, il fut la vedette, avec Marianne Philipot, de la fête des célibataires de Moëlan. Avec quelques compères, il faisait la tournée des cafés du Belon, du bourg et de la campagne, abandonnant son vélo dans le fossé où il s’écroulait parfois pour oublier le temps d’une pause une vie pas vraiment drôle et un métier épuisant.
Quand il prit sa retraite et qu’il abandonna sa maison de Kerandrége, il alla de soi qu’il habiterait chez Marie et Joseph Boudic au château de Plaçamen. Ils se connaissaient depuis longtemps et il leur laissait occasionnellement une part de sa godaille.
La fête des célibataires - Nimbus avec sa pipe
Au château de Plaçamen
Marie Boudic, femme généreuse, lui aménagea une couche dans la laiterie de la ferme, lui fournissant le gîte et le couvert et lui lavant son linge. En échange, il gardait les deux ou trois vaches de la ferme et sortait le cheval.
Marie Boudic - Edwina de Beaumont - Nimbus
Nimbus était la gentillesse même… mais il pouvait aussi avoir le vin mauvais et les Boudic regrettaient parfois de s’être engagés à l’héberger. En 1978, pourtant, il les suivit à Tréméven, lorsque Joseph dut abandonner son jardin après avoir été assailli par un essaim de guêpes qui lui laissa le visage constellé de piqûres. Il logeait dans l’ancien bureau de la station-service du Bel-Air que les Boudic vinrent habiter en face de chez leur fille Rosine. Là, plus de vaches, plus de cheval, plus de vélo… Henri se mit à dissiper son ennui au bistrot voisin. Il fallut se résoudre à l’évidence : il avait aussi besoin de soins ; il fut hospitalisé à la résidence du Bois-Joly à Quimperlé où il devait s’éteindre le 2 avril 1989. Il est enterré dans cimetière de Moëlan où il a retrouvé des membres de sa famille.