Les Moëlanais
Biographies
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Yves Tanguy (1945) dit le grand Youn
Roger Caudan (Février 2023)
Entretien du 15 septembre 2010. Extraits choisis…
Je suis né le 11 novembre 1945 à Moëlan-sur-mer, Finistère, et pour être plus précis à Poulvez, au fond de la rivière de Brigneau. Mon père s’appelait Eugène Tanguy. C’était un gars de Trégunc. Ma mère était également une « Tanguy », née Tanguy, mais de Moëlan, sans aucun lien de parenté. J’ai épousé le 15 juin 1973 une concarnoise, Annick Morvézen et nous avons trois enfants et six petits-enfants.
Mon grand-père se nommait Yves Tanguy. Il était né le même jour que moi, le 11 novembre, et je m’appelle Yves Tanguy. C’est une belle date, n’est-ce pas !
De ma jeunesse à Poulvez, je me souviens notamment de nos échappées à Kermoguer, avec les copains de mon âge. Les anciens nous avaient fait découvrir les bienfaits des feuilles d’un arbre qui poussait sur un talus, non loin du manoir. Tout comme eux, au moment de la moisson ou d’un coup de fatigue passager, il suffisait alors d’en mâcher deux ou trois feuilles, surtout pas plus, pour reprendre forme et agilité comme un cabri. Était-ce de l’eucalyptus ? Des feuilles de coca comme en Amérique du Sud ? Je suis repassé dans le secteur depuis, le châtelain avait dû avoir connaissance de l’affaire, l’arbre n’est plus là.
Maison natale d'Yves Tanguy au village de Poulvez
J’ai fréquenté l’école de Kerouze jusqu’à sa fermeture avant de rejoindre, en 1957, le collège au bourg de Moëlan, en classe de 6ème. A 13 ans et demi, en 1959, j’ai quitté l’école et commencé à naviguer à Brigneau sur le Mon possible de Pierre Favennec (père), bateau qu’il avait acheté à Doëlan auprès du père de Milo Philibot. Le point de départ de mes « services à la mer » validés de ce premier embarquement n’interviendra officiellement que le 1er juillet 1960. Un an plus tard, j’ai rejoint son fils Pierre sur L’Écume.
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Le Mon possible, patron Pierre Favennec en 1957 |
L’Ecume, patron Pierre Favennec, à Brigneau en 1961 |
Témoignage de reconnaissance à Pierre Favennec
Je voudrais ici rendre un vibrant hommage à Pierre Favennec (fils) que l’on surnommait La Houle. C’était un précurseur, un visionnaire, le plus en avance de son temps sur toute la côte, d’une immense générosité doublée d’un sens pratique hors du commun. De son point de vue : si la pêche marchait bien, alors c’est tout l’équipage qui devait en profiter.
Dans sa traque de la sardine, Pierre nous a fait voyager : Les Sables d’Olonne, Le Croizic, La Turballe mais aussi tous les autres ports de la côte jusqu’au Fret, à l’entrée de la rade de Brest, Camaret, l’Ile Longue.
En 1962, Il a vendu l’Écume à Pierrot Tressard et fait construire au chantier de Pont-Lorois à Belz son nouveau bateau : le Récif . Il le voulait novateur avec, notamment, une cale réfrigérée permettant de mettre le poisson en caisse et de le conserver à 0°. Son souhait : faire évoluer le métier, ne plus « laisser cuire le poisson au soleil » et donner un beau produit aux gens pour, au final, mieux le vendre.
Le Récif entre au port de Keroman, à Lorient
Visionnaire dans cette démarche, il fut aussi le premier à la mettre en œuvre. J’avais tout juste 17 ans, j’étais une bête de combat, mais il m’écouta et retint mon idée de mettre dans des caisses en plastique le fruit de la pêche, avant de les descendre dans la cale et de refermer le panneau. Ces caisses avaient été spécialement conçues, pour cet usage, par la société industrielle Allibert, spécialisée dans la plasturgie. Nous sommes bien en 1962, il ne faut surtout pas comparer cela avec les pratiques actuelles. On défrichait le chemin.
En cale à zéro degré, dans des caisses de 8 kg, la sardine restait « nickel », superbe. Au final, l’usine achetait plus cher notre poisson, cette disposition conduira d’ailleurs à un peu de jalousie chez certains équipages. On avait la qualité pour nous, c’était donc normal qu’on soit mieux rémunéré. On arrivait à quai ; si on avait loupé la vente, on ne touchait pas au poisson. On laissait le moteur en route pour conserver la réfrigération et la cale bien fermée. Une fois le poisson vendu, seulement à ce moment-là, les caisses montaient directement dans la chambre froide de la conserverie.
Novice à bord, je vivais bien. A titre d’exemple, avec le petit plus perçu tout au long de l’année, je me suis acheté, comptant, un vélomoteur avec ma seule paie de la semaine !
Avec le Récif, la campagne sardinière commençait très tôt, en avril/mai. On quittait alors Brigneau pour rejoindre les Sables-d’Olonne. On sortait tous les jours en mer mais on rentrait aussi tous les soirs au port. Nous vivions en autarcie à bord. Si la pêche donnait bien alors, il n’était pas rare que nous fassions deux sorties en 24 heures. Il fallait donc à l’ensemble de l’équipage une bonne condition physique.
On mangeait la « godaille » à bord mais, lorsque les résultats étaient au rendez-vous, alors nous allions quasiment tous les jours au restaurant. Pierre était un « patron » qui montrait l’exemple. Sa réputation de générosité n’était pas usurpée, notamment quand il prenait à sa charge les frais pour le retour à la maison, tous les quinze jours. A cette époque, la réussite aidant, j’avais sérieusement envisagé d’acheter mon propre bateau et de rester au pays. Nous, les p’tits gars de Moëlan, on pouvait être fier de nous !
Sur les quais, les équipages se croisaient, se côtoyaient et fréquentaient les mêmes « points
d’eau ». Pour connaitre leur port d’attache, il fallait bien regarder les tenues vestimentaires : les Croisicais et les Tréboulistes avaient des casquettes blanches, celles des Douarnenistes étaient légèrement marron tandis que celles des concarnois étaient bleues. Les pantalons des Guilvinistes étaient très larges alors que les nôtres étaient plus serrés.
Pierre Favennec s’en est allé le 25 février 2000.
Quand j’ai débuté́ dans le métier, je l’ai toujours dit : « si je passe à travers les mailles du filet, j’arrêterai ma carrière « embarquée » en l ’an 2000, pour mes 55 ans ». Ma dernière année, je l ’ai effectuée à Lorient, au sein de l ’armement Intermarché ́ .Cette année 2000, le 25 février, alors que je repartais en mer sur le chalutier lorientais An Oriant, on m’a dit : « Pierre Favennec est décédé, il est à la morgue à Quimperlé ». Je venais de perdre mon « mentor ». L’homme auquel je dois ma carrière s ’en est allé. Bien que pris de court, j ’ai néanmoins mis un point d’honneur à lui rendre un ultime hommage, à ma façon. Je l ’ai embrassé sur son lit de
mort. Ma manière de le remercier pour tout ce qu ’il avait fait pour moi, mais aussi, de lui dire au revoir. Ce geste, j’y tenais expressément.
Pierre Favennec
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Sur le Récif : Pierre Favennec à l’extrême gauche Youn Tanguy, second en partant de la droite |
Yves Tanguy, inscrit définitif n° 13160, du quartier de Concarneau. |
En 1970, la carrière d’Yves Tanguy prend un nouveau tournant...
L’âge avançant, je me suis dit : « Youn, mais où est passé ton ambition ? »
Alors en 1970, j’ai passé mon brevet de lieutenant de pêche à l’école d’apprentissage maritime (EAM) de Concarneau et, plus tard, le capacitaire au Guilvinec. Belle session du brevet de lieutenant, à cette époque, nous étions 23 pour suivre cette formation. J’ai aussitôt embarqué comme lieutenant sur le pêche-arrière Lutèce.
Le Lutèce dans les passes de Concarneau
En 1973, j’ai passé́ mon patron de pêche, une formation de cinq mois, à l’EAM de Lorient, pourquoi à Lorient ? Nous, les Moëlanais, nous étions à équidistance de Lorient et de Concarneau et le directeur de cette école, un capitaine au long cours originaire de Saint-Malo, nous informa que l’ouverture de la formation dépendait de notre choix.
En optant pour Lorient, nous, les 6 Moëlanais avons permis l’ouverture d’une session à Lorient, tout en maintenant celle de Concarneau. Les cinq ou six Lorientais dont la formation demeurait suspendue à notre décision, nous ont toujours témoigné une infinie reconnaissance.
Certains de mes copains Moëlanais, à l’époque de cette équipée, ne sont malheureusement plus de ce monde : Dédé Le Moing, Jo Kerforn, Albert Sancéo de Kersécol, Emile Lucas de Kerouer.
Je suis revenu néanmoins naviguer à Concarneau. Mon implication dans le syndicalisme m’a alors valu bien des déconvenues. Les discussions sur les salaires, les congés payés, tout le monde appréciait mon implication mais quand un armateur donnait ses consignes, certains « faux culs » me tournaient le dos et faisaient mine de ne pas me reconnaitre : oh, la belle hypocrisie !
Le Castel-Coz au port de Douarnenez
Concarneau puis, presque 20 ans à Douarnenez
J’étais bosco sur le Poulbot de l’armement Barzic, de Concarneau, au sein duquel, j’ai connu un Douarneniste qui commandait un des chalutiers. Sa façon de travailler me plaisait et je me suis dit : « si un jour, il s’en va ailleurs alors je le suivrai ». Il quitta Barzic pour rejoindre Douarnenez. Je l’ai aussitôt rejoint dans ce port.
J’ai ainsi navigué et commandé à Douarnenez pendant près de 20 ans. J’ai bien dû embarquer sur tous les chalutiers du port. Mon plus long embarquement dans ce port a été sur le pêche-arrière Castel Coz, un chalutier de l’Armement Coopératif Finistérien (ACF) que j’ai commandé pendant près de cinq années.
Retour à Concarneau et pour finir à Lorient
En 1989, j’ai embarqué à Concarneau sur le Villon, un bâtiment tout neuf de l’armement CMB. Je suis resté 10 ans à Concarneau. C’est à cette époque qu’avec la connivence du groupe Intermarché, j’ai réalisé et mis en œuvre mon projet de caisse réfrigérée, 23 kg de poisson, 12 kg de glace pour du poisson calibré et pesé.
Une étiquette précisant le jour de pêche, le type de poisson, sa taille, la zone de pêche permettait aux scientifiques d’effectuer un contrôle rapide et précis de la cargaison.
J’ai aimé mon métier. Il m’a permis de sortir de la misère et d’avoir ce que j’ai aujourd’hui, acquis morceau par morceau, au fil des années. Je ne regrette nullement ma démarche. Bien sûr, j’aurai pu choisir un métier plus facile.
Avec une petite pointe d’orgueil, je l’avoue, je suis fier de voir ce que ce p’tit gars de Poulvez est devenu. Au collège de Moëlan, comme bien d’autres de ma génération, on a juste fait que passer, obtenu le certificat d’études, mais il faut bien le reconnaître, nous avions de bons professeurs. Les bacheliers d’aujourd’hui - quand ils ont du travail - ne feront peut-être pas aussi bien que nous.
Depuis que je suis à la retraite, je viens régulièrement à Moëlan, en principe une fois tous les quinze jours, à Brigneau - çà va de soi – et au Bélon, mais pas à Merrien, la route est trop étroite.
Je réside désormais à Concarneau et il ne se passe pas une journée sans que je descende au port. Contrairement à de très nombreux marins à la retraite, je n’ai jamais eu l’envie de disposer d’un petit canot aussi bien pour la pêche loisirs que pour la voile.
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En 1960 au collège |
En 2018. Leçon de ramendage, à la Fête des Filets Bleus, à Concarneau |