Les Moëlanais
Municipalité
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- Délibérations du conseil
Avice de Mougon
Michel Prosper de Mougon, de Moëlan à Tibidi
Bernard Boudic
Où était donc passé Michel Prosper Avice de Mougon, maire de Moëlan, lorsqu’il abandonna ses fonctions au printemps 1868 et vendit au vicomte Ferdinand de Tréveneuc le château de Plaçamen qu’il avait acquis en 1857 auprès d’Antoine de Mauduit ? (1) Il n’alla pas bien loin : il acheta l’île de Tibidi en l’Hôpital-Camfrout, où Saint-Guénolé et ses onze compagnons s’établirent en 482 avant de gagner Landévennec.
En attendant la construction sur l’île d’un nouveau château, la famille de Mougon s’installa provisoirement au Bel-Air, en Landerneau. C’est là que naquit le 26 août 1868 le deuxième fils, de Michel Prosper, Guy-Charles. Construit en 1869, le château de Tibidi est une grande bâtisse carrée flanquée de deux tours et agrémentée à l’angle sud-est d’une tourelle de briques en cul-de-lampe. Les encadrements des portes et fenêtres et les chaînes d’angle sont en pierre de Kersanton. De l’esplanade du château, la vue est magnifique sur Landévennec et le fond de la rade de Brest.
Marie Adrienne Aubert du Bois de Vincelles (1839-1911)
Parallèlement, Michel Prosper Avice de Mougon consolida le tombolo (cordon littoral) qui relie l’île au continent, aménagea une chaussée praticable en tout temps et fit planter des arbres d’essences méditerranéennes.
L'île de Tibidi
Très intéressé par la mer et la vie maritime, le nouveau propriétaire de Tibidi installa sur la grève un chantier de construction navale où vinrent hiverner bientôt des goélettes morutières de Paimpol. Pour loger les équipages et leurs familles, il fit construire non loin quatre maisons qui formèrent le village appelé « La Marinière ». Un autre village, plus proche encore de Tibidi, se nomme Keravice. Difficile de ne pas y voir la marque du comte Avice de Mougon.
Du chantier naval de Tibidi, sortirent de nombreux bateaux : en 1887, le chaland « Poitou » (Michel Avice de Mougon était originaire du Poitou) de 45 tonneaux qui servit à charger et à décharger des navires plus lourds ; en 1893, le Sainte-Anne, sloop de 9 tonneaux désarmé à Brest en 1932, après avoir appartenu au comte de Chalus propriétaire de l’abbaye de Landévennec ; en 1893, également, le Saint-Yves, sloop de 15 tonneaux qui acheva son service à Camaret ; en 1895, le Saint-Jean et l’Abeille, sloop de 23 tonneaux, armé au bornage, qui sombra aux Glénan en juillet 1929 ; l’année suivante, fut construite la Fourmi, sloop de 24 tonneaux, armé au bornage, qui appartint à M. Poulain de Saint-Père ; en 1897, le Passe-Partout…
Personnage fantasque, Prosper-Michel Avice de Mougon imagina se rendre en bateau à l’exposition universelle de Paris en 1878 avec toute sa famille et ses domestiques. Il choisit d’emprunter d’abord le canal de Nantes à Brest et fit construire un bateau de 30 m qu’il baptisé Maner Dour (« Le château de l’eau »). Tout alla bien jusqu’à Redon où un pont trop bas empêcha le passage du bateau. Voyage écourté : on revint piteusement à Tibidi… Adieu l’exposition !
Ce ne fut pas la seule mésaventure que connut Michel Prosper en cette année 1878. Le journal Le Finistère raconte que l’un de ses bateaux, « un beau sloop » qui était mouillé en face de Tibidi, fut « enlevé » dans la nuit du 11 octobre : « Les marins qui étaient en rade de Brest près du phare du Minou ont reconnu le sloop qui doublait la pointe Saint-Mathieu, favorisé par un bon vent », précise le journal qui ajoute que les soupçons se sont portés sur un individu, resté inconnu que l’on a vu roder autour de l’île dans la journée de vendredi. On apprit quelques jours plus tard que le voleur était un jeune homme de 18 ans qui voulait gagner Jersey pour y vendre le bateau. Trompé par les courants, le navigateur solitaire accosta à Carteret, sous l’œil des douaniers. Qu’y avait-il à bord ? Des vêtements, de l’argenterie, des biscuits de mer, de la boisson, un compas de route et des cartes, croit savoir un journal parisien. Pas du tout, réagit Le Finistère : « C'est à tort qu'on a annoncé que le sloop de M. de Mougon était muni de provisions et garni d'objets précieux, lorsqu'il a été enlevé. Il ne se trouvait à bord, selon nos renseignements particuliers, que quelques couverts en rubis et une timbale d'argent gagnée en prix dans des régates. »
Le lundi 20 août 1877, le bateau de M. de Mougon s’était illustré plus remarquablement en sauvant huit des douze passagers de l’embarcation des douanes du port du Tinduff en Plougastel qui fit naufrage un quart d’heure après avoir quitté Landévennec.
La fille aînée de Prosper-Michel, Marie-Gabrielle, né le 16 novembre 1859 au château de Pennanrun à Trégunc (Finistère), épousa le 31 août 1881, le lieutenant de vaisseau Roger Achille Poulain de Saint-Père embarqué sur la canonnière Oriflamme. Ils eurent quatre enfants, Jean-Frédéric, Gabrielle, Yvonne et Jeanne. Mais Marie-Gabrielle décéda en 1893 à la naissance d’un cinquième enfant qui ne survécut pas. Elle est inhumée au cimetière de l’Hôpital-Camfrout. Après sa démission de la Marine Nationale (il ne fait plus partie des effectifs en 1885), Roger Poulain de Saint-Père fit prospérer le chantier naval de Tibidi avec son beau-frère, Amaury de Mougon, le troisième enfant de Michel Prosper Avice de Mougon. Les affaires marchèrent bien jusqu’au tournant des années 1900. A cette date, Roger de Saint-Père se remaria, le 6 octobre, à Poitiers avec Jeanne-Louise Letard de la Bouralière. Il habitait alors Nancy et exerçait la profession d’inspecteur général de la Compagnie d’assurances générales sur la vie dont il devint par la suite directeur général. Il légua Tibidi aux enfants nés de son mariage avec Marie-Gabrielle de Mougon et alla s’installer sur l’île Chevalier, dans l’estuaire de la rivière de Pont-l’Abbé. Il y est décédé le 12 février 1942 à l’âge de 86 ans.
Le deuxième enfant de Prosper-Michel, Roger-Fernand-Amateur, né au château de Plaçamen à Moëlan-sur-Mer le 2 décembre 1860 est décédé en mer, au large de la Floride, le 27 octobre 1886, sur le navire de commerce Vénézolana où il avait embarqué comme matelot de 3e classe.
Le troisième, Amaury, né en 1866 au château de Plaçamen, se marie le 21 septembre 1896, à La Rochelle, avec Gabrielle Antoinette du Barry, sans profession, née le 16 janvier 1870, de Jean Baptiste Aymard de Barry, décédé à 28 ans au combat de Loigny (Eure-et-Loir), le 2 décembre 1870, et de Pélagie Lucie Gigounous de Verdon, née en 1846, demeurant à La Rochelle, en résidence à Bordeaux. Tous deux vinrent habiter Keravice, tout près de Tibidi, où Amaury, est armateur lors de la naissance, le 3 juin 1898, de leur premier enfant Marguerite Marie. Le couple eut deux autres enfants :
- Antoine-Marie né le 27 avril 1900, marié le 21 septembre 1931 à Roscoff avec Yvonne Marie Alix Boscal de Reals
- et Germaine Marie, née le 17 mai 1902, mariée le six décembre1937 à Nice avec Jean Maurice Lacolle, remariée le 13 mai 1971 à Vannes avec Jean Joubert des Ouches.
Amaury est décédé en 1953, deux ans avant son épouse. Il fut élu en 1900 conseiller municipal de l’Hôpital-Camfrout sur une liste « républicaine libérale ».
Le quatrième enfant de Michel Prosper Avice de Mougon, Guy Charles, né à Landerneau le 26 août 1868, est décédé à l’hôpital militaire de Rennes à l’âge de 19 ans, le 12 avril 1888, alors qu’il était caporal au 41e régiment de ligne.
Revenu à Quimperlé, à quelques kilomètres du château de Pennanrun (Trégunc) qu’habita son épouse, et de celui de Plaçamen (Moëlan-sur-Mer), où il vécut de 1858 à 1868, Michel Prosper Avice de Mougon y décéda en mars 1908 à l’âge de 77 ans. Son épouse lui survécut jusqu’en avril 1911.
Roger de Saint-Père, son gendre, était un passionné de yachting. Le fils unique de celui ci, Jean-Frédéric, né en 1888, remporta lui aussi, de nombreux succès nautiques à bord de son bateau, l’Uldra, avec un équipage dont le patron était Hervé Keromnès, le meilleur marin qu’il eût connu, et dont le petit-fils, Jean, fut maire de l’Hôpital-Camfrout de 1984 à 2001. Jean-Frédéric est décédé à Brest en 1971. L’Uldra remporta notamment le handicap de la coupe de Bretagne, lors de la visite au Havre du président du Conseil, Raymond Poincaré, venu poser la première pierre du musoir nord de l’entrée du nouveau bassin à marée.
En 1925, les enfants de Roger de Saint-Père et de Marie-Gabrielle de Mougon vendirent l’île de Tibidi à René Bolloré, l’industriel de la papeterie d’Ergué-Gabéric, grand-père de Vincent Bolloré, l’actuel dirigeant du groupe Bolloré. A sa mort, dix ans plus tard – il fut emporté à 49 ans par un cancer de la gorge – sa veuve vendit la propriété le 10 octobre 1936 à l’association immobilière du Léon, proche de l’évêché, qui la remit à la paroisse Saint-Louis de Brest. Une école s’y installa, de 1939 à 1951, puis le château vécut au rythme des colonies de vacances, des camps de louveteaux, des retraites d’avant communion et des séminaires. En 2001, il est à vendre : le diocèse de Quimper veut en obtenir cinq millions de francs.
Aujourd’hui, le château de Tibidi appartient à un particulier.
Invité par le comte de Chambord
Michel Prosper Avice de Mougon ne cachait pas ses sympathies légitimistes. La preuve en est qu’en mars 1859 (étant donné les dates, ils devaient être en voyage de noces), les Mougon, séjournant à Venise au prestigieux hôtel Danieli, sont par deux fois invités à déjeuner par le comte de Chambord, « chef » des légitimistes et potentiel roi de France en cas de restauration de la monarchie, qui séjournait lui-même à Venise. Le 9 mars 1859, Prosper reçoit un pli « A monsieur le comte de Mougon, hôtel royal Danieli, Venise » avec le contenu suivant : « Le duc de Lévis a l’honneur d’offrir ses compliments à monsieur le comte de Mougon et lui annonce que monsieur le comte et madame la comtesse de Chambord le recevront ainsi que madame la comtesse de Mougon aujourd’hui à midi et demie. Venise, le 9 mars 1859 ». Le lendemain, un second pli est envoyé à « Monsieur le comte de Mougon, Venise » avec l’invitation suivante : « Le duc de Lévis a l’honneur d’offrir ses compliments à monsieur le comte et madame la comtesse de Mougon et les engage de la part de monsieur le comte de Chambord à venir dîner au palais Cavalli samedi prochain à 6 heures. Venise,le 10 mars 1859. »
Sources :
« Tibidy » par Jean Foucher, éditions PAM, Brest 1983. 12 p.
Article du Télégramme, 25 mai 1956, signé Jean Tanguy.
Article du « Progrès » de Cornouaille, 11 novembre 2000.
Deux lettres à l’auteur d’Anne Teyssandier, arrière-arrière petite-fille de Michel Prosper Avice de Mougon.
(1) « Un château en Bretagne », par Bernard Boudic, éditions Coop Breizh, juin 2015, 24,90 €.