Patrimoine
Patrimoine vernaculaire
Le quai de Plaçamen
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Le Télégramme. Publié le 5 novembre 2018
Après plusieurs années d'échanges avec le Conservatoire du littoral, le chantier conduit par Jacques Noël et ses amis de Mémoires et Photos, a enfin démarré. (Roland Fily)
Depuis quelques semaines, les amoureux du patrimoine moëlanais sont au chevet d'une imposante masse de cailloux baignant dans l'anse de Kermerrien. Ils veulent redonner son lustre au quai de Plaçamen, dans un site nature exceptionnel.
Le long du quai caché au fond de l’anse de Kermerrien, un majestueux cotre vient reposer une coque humide d’une journée d’été. Il ne faudra pas longtemps aux régatiers fourbus pour rejoindre la demeure ancestrale qui domine le site. Propriétaires du château de Plaçamen, à Moëlan, au début du XXe siècle, les comtes de Beaumont disposent sur la petite péninsule d’un havre exceptionnel, un abri maritime proche de la propriété et des fermes, mais aussi un accès à la mer qui témoigne de la richesse passée de ce littoral.
Premier site naturel du conservatoire
Laissé sans entretien depuis des dizaines d’années, le quai de pierres sèches, un bel ouvrage de 80 mètres de long, à défaut d’entretien, a peu à peu glissé dans la mer. La solide association Mémoires et Photos, qui porte ce projet, a fait preuve de ténacité pour enfin entamer les travaux. Entre les premières demandes au Conservatoire du Littoral, et la mise en place des premières pierres, au printemps de 2019, cinq années se seront écoulées. « Le Conservatoire a un lien particulier avec Merrien. C’est la première propriété qu’ils ont achetée, en 1977 », explique Jacques Noël, coordonnateur du projet de restauration avec Isabelle Conan. Sur la presqu’île, l’espace naturel couvre 65 hectares, essentiellement de boisements de chênaie littorale, entourés de zones alluviales.
L’établissement public s’est penché sur le dossier précis établi et déposé par Jacques Noël et a validé la convention cet été. L’ancien ingénieur (informatique et télécoms) y a détaillé les opérations à mener. Mise en état de la plate-forme, récupération de pierres plates, restauration « en prenant garde de maintenir l’apparence d’une structure en pierres sèches pour être conforme à la structure d’origine ». L’ambition est de rétablir la muraille, « sur une longueur de 60 mètres, ça serait bien », imagine le bénévole.
L’anse de Kermerrien pourrait ainsi témoigner, panneaux à l’appui, du riche passé de ce site. Sur le sentier côtier, le corps de garde est toujours là, qui domine le promontoire depuis le XVIIe siècle, alors que croisaient encore les bâtiments anglais. Plus au nord, un feu de signalisation maritime balise le fond de la ria et la côte porte aussi les traces des signaux sémaphoriques.
« On parle d’une époque où les routes n’existaient presque pas, explique Jacques, et où la mer était un lieu de trafic privilégié ». L’existence de ce quai, pour alimenter un domaine exploité depuis dix siècles (*) en matériaux divers, en est bien sûr une belle illustration. Les historiens ont pu souligner l’activité maritime soutenue de Quimperlé, mais aussi des havres du Pouldu, Brigneau ou Merrien.
Le bénévole désigne les fonds d’anses comme autant de carrières de pierres. Il rappelle l’arrivée des huîtres et les nombreux opposants à une culture qui promettait de gêner les usages : pêche, transports maritimes, prélèvements d’amendements. On peut y rajouter les conflits autour de la récolte du goémon…
L’art de « murailler »
« Sous chaque paquet d’algues, il y a une pierre », dit Jacques en pointant la rive du doigt. Une équipe d’une quinzaine de bénévoles a mené depuis un mois trois demi-journées de travail : débroussaillage côté colline, et côté mer, la remise sur le quai de nombreux blocs tombés du quai. Du schiste chargé de vase que l’hiver va nettoyer avant le début de leur remise en ordre, au printemps prochain. Ce vendredi, c’est une spécialiste, mandatée par la Fédération française des professionnels de la pierre sèche, qui viendra donner quelques conseils. « Ce sont eux qui nous ont contactés », s’étonne encore Jacques. Parce que la technique de la pierre sèche, l’art de « murailler » ne s’improvise pas.
Ici, sur le GR 34, passent de nombreux marcheurs ou coureurs qui, malgré l’habitude des lieux, ne manquent pas de s’extasier devant ce paysage préservé. « Il fait beau sur la mer, on voit bien Groix », jette au passage un jogger rayonnant sous la pluie de novembre.
* Lire « Un château en Bretagne » de Bernard Boudic, aux éditions Coop Breizh.