Patrimoine
Patrimoine vernaculaire
Le sémaphore de Beg-morc'h
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Jacques Noël |
Episode 1 : A la recherche du sémaphore
Lors de l’exposition Mémoires et Photos sur Brigneau en 2013, une photo des années 30 prise à contre-jour nous rappelait l’existence d’un sémaphore du côté de Beg Morc’h. Sur cette photo prise en 1939 par un particulier peu de détails nous étaient dévoilés.
De même un tableau du peintre Moret, "Le sémaphore de Beg ar Mor", daté de 1899, avait aussi immortalisé ce bâtiment.
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De nos jours, le promeneur sur le sentier cotier, du côté de Kerabas, ne remarque même pas les restes d’une construction, d’un mur, ou d’un puits en granit (dont aujourd’hui l’accès est bouché par une plaque de béton !), tant le temps et la végétation ont repris possession des lieux. Tout juste s’il s’interroge sur la présence de bornes frappées d’une ancre marine (2 bien visibles (no 1 et 5) et une troisième au nord dans la broussaille, no 2).
Le passé du lieu est pourtant chargé d’une histoire liée à la mer toute proche !
Quelques rencontres lors de cette exposition avec plusieurs personnes avides de recherches sur le passé du littoral de Moelan si extraordinaire, nous ont poussé à en savoir un peu plus. Des anciens ayant vu ce sémaphore vers les années 30 nous ont rapporté des éléments de vie et ceci avant qu’il ne fut détruit par les Allemands au moment de leur repli vers Lorient (libération de Moëlan début Août 1944). Plus tard, en 2015, la rencontre avec M. Augris, ancien de l'Ifremer et géologue de formation, nous apporta des éléments irréfutables sur l'existence de ce sémaphore du côté de Kerabas.
Comme un puzzle, tous ces éléments mis bout à bout vont nous aider à retrouver les détails de la vie de ce bâtiment de la marine ainsi que les activités s'y rattachant.
C'est l'histoire que nous proposons de vous raconter au fil de ces épisodes.
En matière de recherche historique comme généalogique, la priorité va à au recueil de témoignages.
Au sein de l'équipe Mémoires et photos, Marie-Laurence de Kerglouanou avait identifié deux personnes du secteur ayant connu ce sémaphore dans leur jeunesse.
La première, Léocadie Guillou de Kerhérou a bien connu le secteur de Kerabas et le sémaphore à l'époque d'avant guerre.

"Je me souviens j’avais 12 ans et je venais d’avoir mon certificat. On m’avait amenée au sémaphore pour apprendre la couture avec Mme Audren, la femme du gardien. A cette époque il n’y avait pas de route mais une voie charretière pour y aller. Quelques détails me reviennent : une grande pièce avec l’atelier de couture, une cuisine et 2 chambres. Une pièce vitrée où l’on n’avait pas droit d’y aller, c’était le lieu d’observation avec la longue vue. Le grand bâtiment en granit avec le toit en pierre avec une petite maison pour la chèvre, un grand mât avec une échelle et des barreaux en corde. Louis Audren, le guetteur du sémaphore, était aussi pêcheur et quand il était en mer c’était Mme Audren qui observait avec les jumelles. Ils avaient une fille Annette et un garçon Mathurin" |
Analyse : Léocadie ayant 97 ans en 2015, donc née en 1908, cela donne une date de 1920 pour ce témoignage.
La deuxième personne rencontrée est Joseph Le Bourhis de Kerziou (né en 1924). Joseph est né à quelques centaines de mètres du sémaphore et a passé toute sa vie dans le secteur de Brigneau. Grâce à une très bonne mémoire, Joseph nous donna en une heure toute une série d'informations très précises et en bonus quelques histoires du secteur dont certaines resteront encore confidentielles.
Infrastructure : |
Croquis de l’ensemble (suivant la description de Joseph) :
M. et Mme Audren étaient les gardiens en poste vers les années 30. Ils avaient deux enfants Annette et Mathurin. La marine déposait les pots de peinture à Kerziou que M. Audren venait récupérer pour repeindre et entretenir les bâtiments. Pendant la guerre la douane à Malachappe contrôlait les A/R des bateaux. On ne pouvait pas aller en mer sans autorisation. En 1939, une dizaine de marins français avaient été dépêchés au sémaphore. Ils ont récupéré tous les équipements avant que les Allemands arrivent (il y avait deux gars de Moelan : Le Roi de Kerroch et Le Grand de Kerdoualen). En fait quand les Allemands sont arrivés à Moëlan, ils ont démoli ces bâtiments pour les remplacer par une cabane pour y mettre une vingtaine de personnes (Russes blancs). Pour la démolition en 1942, ils avaient demandé aux gens des villages de venir pour travailler mais après une journée personne n’est revenu. Au même moment des tranchées ont été faites tout autour du nouveau bâtiment. Pour protéger cette construction (cabane en bois, 10*12 ?), ils ont commencé par creuser un trou de 15x10 m et profond de 3 à 4 m. La cabane s’y trouvait et pour camoufler le tout, des filets étaient tendus par-dessus. Ce trou avait été creusé au nord du sémaphore un peu plus haut sur le terrain. Pour assurer une meilleure communication avec le poste de Malachape, les Allemands décidèrent de construire une route de Kerabas à Malachape. Cette route traçait tout droit et passait en dessous du village de Kerziou au travers des parcelles. Cette route empierrée fut vite remise à l’état d’avant guerre (parcelles initiales) par les propriétaires une fois les Allemands partis !!! En septembre 1944 lors de la déroute les Allemands ont tout fait sauter avant de rejoindre la poche de Lorient. |
En 2015, la rencontre avec M. Augris ayant travaillé en tant que géologue pour le compte de l'Ifremer dans les années 60, nous a donné accès à un document de la vue aérienne du trait de côte entre l'Aven et la Laïta. Dans ce document, datant de 1927, nous avons retrouvé certains détails du bord de mer et en particulier notre sémaphore juste au sud du village de Kerabas.
Vue aérienne prise en 1927 (© SHOM, Ifremer, Photothèque nationale)
La structure en T du bâtiment ainsi que l'étable et l'ancien coprs de garde cités précédemment sont parfaitement visibles.
Avant le sémaphore
Quand on consulte plusieurs documents comme le cadastre Napoléonien et quelques cartes anciennes dont la carte de Cassini (fin du 18ème siècle) ou une carte du littoral faite à l’occasion des guerres maritimes entre la France et l’Angleterre vers 1794, nous retrouvons les références d’un corps de garde au lieu-dit Kerabas.
Ce corps de garde, comme beaucoup d’autres le long de nos côtes (Merrien, Brigneau, Riec) servait d’abri à un groupe armé chargé de la surveillance et de la défense du littoral en cas d’attaques de la mer.
En général et à cette époque, il s’agissait de bâtiments en granit avec un toit en pierre permettant une meilleure vision du large.
Il semblerait au vu des photos et témoignages que ce bâtiment était toujours présent en 1920 à côté du sémaphore (Vue aérienne de l'Ifremer où l’on voit la structure en T du sémaphore construit en 1887 avec 2 autres bâtiments proches).
Extrait du cadastre Napoléonien indiquant l’emplacement du Corps de Garde (parcelle 1495).
Tous ces éléments nous donnaient déjà une première base solide. Les témoignages recueillis permettaient d'identifier quelques acteurs de l'époque comme la famille Audren ainsi qu'un secteur relativement précis de l'implantation du sémaphore encore visible au début de la guerre 39-45.
L'emplacement était donc au sud du village de Kerabas, près de la côte et à un endroit surélevé.
Avant la construction du sémaphore l'existence, d'un corps de garde à cet endroit ne faisait plus de doute.
Munis de tous ces éléments, une visite aux archives de la marine de Lorient s'imposait !!!!