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Les moulins
Juillet 2020 |
Attesté dès 1537, un moulin à vent dépendait du manoir de Kerjégu, nommé alors « Keryagu », « Ker », (village), associé à « Yagu », (breton « Jacob ») (1)
Il est construit à environ 900 mètres dans l’ouest du manoir, sur la hauteur la plus proche (35 mètres), et à 300 m environ au sud du village de Kerouer. [R4-1640]
En 1624, c’est la propriété de Marie de la Rochère, dame de Kerjégu, de Kerlouarnec et de Badel. Elle épouse en 1633 Paul de Valleaux, seigneur des Touches, puis Charles de la Corbière. Après son décès, en 1664, la seigneurie de Kerjégu est partagée entre ses enfants :
- Le manoir revient à son fils Charles-François de la Corbière, abbé, chanoine de Vannes entre 1659 et 1682, recteur de Moëlan de 1683 à 1686, année de son décès.
- D’autres terres et tenues à Blorimond, Kersel, Kerconan, reviennent à sa fille, Elisabeth Marie de la Corbière (1653-1689).
- D'autres villages et tenues aussi à sa fille Françoise de Valleaux (1636), à Kerhérou, Kerguip, Kervasiou larmor, Kerliguet, Kernon.
- Le moulin, propriété de Jan de Valleaux, est acheté en 1679 par François de La Pierre, seigneur des Salles. Ce dernier le déclare dans un papier terrier de 1682.
Le moulin à vent dépendant ci-devant dudit manoir de Querjégu [Kerjégu] avec ses issues, distroit et suite d'hommes tant dudit manoir que de tous les hommes et vassaux dudit Querjégu, appartenant ci-devant à defunt dame Marie de la Rochère, dame propriétaire dudit Querjégu sans réservation.
A cette date, le manoir, demeure de l’abbé Charles-François de la Corbière, est profité par Jan de Roulleaux, sieur de la Vallée.
En 1751, dans sa déclaration d’impôts du 20ème, Jean Louis de Roulleaux, sieur de Kerjégu, déclare posséder, outre le manoir, le moulin à vent de Kerjégu, avec son distroit et mouteaux, que je fais travailler par mains et dont le revenu annuel peut produire quarante-cinq livres.
Sur quoi il y aura à déduire primo, la rente féagère de vingt livres due sur icelui à monsieur du Vergier Kerhorlay, ci suivant quittance, sous signe privé du 13ème novembre 1748, 20 livres,
Secundo le tiers pour réparation, attendu que c’est un vieux moulin et sujet à grandes réparations.
Sa soeur, Françoise-Marguerite de Roulleaux épouse Joachim de la Faudrière de Baudry. Leur petit-fils, Claude-Joachim de la Faudrière de Baudry (1763-) vend le moulin en 1819 à Thomas-Casimir de Mauduit (2) dont le père avait épousé en 1793 la veuve de Jean-François de la Faudrière de Kerjégu (1714-1792), capitaine garde-côtes.
En 1817, le moulin est loué à Jean Marie Collin et à sa femme Marie-Françoise Fichoux, mais le bail est annulé la même année et reconduit pour neuf années avec tacite reconduction à Yves le Bozec (1786-1837), meunier, et Marie-Thérèse Hervé (1781-1818), sa femme, demeurant à Kerroch. Au décès de ce dernier, en 1837, ses enfants se libèrent du bail du moulin par cession de son renable à Thomas-Casimir de Mauduit. (3)
En décembre 1846, Noël Jaouen (1798-1864) et sa femme Elisabeth Lamarre, cultivateurs, demeurant à Kerchoise, achètent pour deux mille francs à Thomas-Casimir de Mauduit, le moulin à vent de Kjégu aux issues dudit lieu de Kjégu en Moëlan ; tel qu'il se compose actuellement et dans l'état où il se trouve, avec le terrain sur lequel il est assis et tous les objets composant son renable sans nulle exception, ni réserve, excepté la paire de balances s'y trouvant et de tout quoi les acquéreurs ont déclaré avoir pour eux-mêmes une connaissance exacte.
Propriétaires et meuniers sont désormais confondus. En 1848, Noël Jaouen entreprend des travaux de démolition, puis de reconstruction du moulin sur la même parcelle que l’ancien. La nouvelle construction est achevée en 1849. Le moulin de Kerjégu n’est plus, place au Moulin Jaouen, ou, plus exactement « milin Jaouen ».
Les Jaouen vont exploiter le moulin en famille. En 1849, Noël Jaouen signe un acte de remplacement militaire pour libérer son fils Julien, qui avait été tiré au sort pour faire partie du contingent. Il achète son remplacement à Corentin Lozachmeur, de Kermeurzach. Julien va pouvoir rester aider au moulin.
Il n’y a pas d’habitation au moulin ; en 1851, le couple habite toujours à Kerchoise. Julien, le fils, est garçon meunier. Deux valets et une servante vivent aussi avec eux. Puis la famille va changer fréquemment de domicile mais reste très soudée. En 1856, ils habitent à Clec’h Moën. Noël Jaouen est dit « cultivateur », (comme le sont fréquemment aussi les meuniers), son fils Julien (1828-1870) est veuf. Quelques années plus tard, en 1861, la famille Jaouen habite à Kerroch. Julien, meunier, est remarié avec Marie-Catherine Cornou, ils ont une fille de 2 ans, Marie-Anne. Noël Jaouen, devenu veuf, ne déclare pas de profession. Il part habiter chez sa belle-fille, Isabelle Lamarre, mariée au meunier François Pastol (Pasterol, Pastrol), au moulin du Hirguer, en Kersalut. Il y meurt le 4 juin 1864, après avoir fait un testament. La famille de son fils, toujours à Kerroch en 1866 s’est agrandie d’un bébé de 15 mois, Barbe.
C’est à ce moment que Marie-Catherine et Julien Jaouen font construire une maison sur une parcelle toute proche du moulin, appelée couchen lan ar vilin avel (lande du moulin à vent) en bordure du chemin d’accès. Leur fils François-Marie naît au « moulin de Kerjégu » en 1868.
Mais Julien décède en 1870. Marie-Catherine reste seule avec trois enfants qui ne peuvent l’aider à faire tourner le moulin. En 1874, sa fille aînée, Marie-Anne, 15 ans, se marie à un marin-pêcheur, François Daniélou. La famille Jaouen va quitter le moulin et sa maison, occupée en 1881 par la famille de Jean-Michel Joa, marin-pêcheur. Les Jaouen vont vivre à Kersaux, où François Daniélou possède une maison. Marie-Catherine Cornou est cultivatrice, son gendre François « au service de l’état ». Les trois enfants Jaouen sont encore trop jeunes pour reprendre le moulin qui semble ne pas fonctionner durant ces quelques années.
En 1885 Barbe Jaouen épouse Pierre-Louis Cordonner. La famille revient au moulin. Marie-Catherine, son gendre et son fils qui a maintenant 19 ans, sont déclarés meuniers lors du recensement de population de 1886. Place à la troisième génération de meuniers Jaouen.
La famille, composée de Pierre-Louis Cordonner, sa femme Barbe Jaouen, ses trois filles et son fils, sa belle-mère Marie-Catherine Cornou et son beau-frère François Jaouen, va ainsi vivre au « moulin de Kerjégu » ou au « moulin de Kerhérou » (selon les appellations relevées dans les recensements de population).
La maison du moulin est sans doute devenue trop petite pour toute la famille. Un peu avant 1910, le couple Cordonner-Jaouen fait construire une maison à Kerouer, sur une parcelle au nord du moulin, appelée Verger bras (le grand verger), d’où l’on peut apercevoir le moulin. C’est un plateau dénudé, occupé par des champs. La famille s’y installe. C’est l’époque du « Milin Jaouen », comme on s’en souvient encore à Brigneau. En bordure d’un chemin qui relie les villages de la rivière de Brigneau à ceux des rives du Bélon, Milin Jaouen est aussi un repère au milieu des champs et des landes. Lieu de passage quasi obligatoire pour beaucoup d’ouvrières qui se rendent au travail dans les sardineries.
C’est là aussi que dans son roman, Le Chant de l’équipage, Pierre Mac Orlan mène le personnage de Joseph Krühl, quittant Brigneau par le sentier côtier, contournant le sémaphore de Kérabas et prenant la lande pour gagner Le Bélon, dans la mélancolie pénétrante [qui] enveloppait les choses et le petit moulin mort dont les ailes s’immobilisaient dans le sens de la croix latine. (4)
Pourquoi « moulin mort » ? L’action du récit est située pendant la première guerre mondiale, période d’activité économique ralentie, où les annonces de décès sont fréquentes. Le moulin avait-il réduit son activité ? Mac Orlan sait-il que la position des ailes immobiles est un message codé ? Et dans ce cas, il faudrait, plutôt que de « croix latine », parler de « croix grecque », ce qui signifiait un appel au travail ou au rassemblement.
- Les ailes arrêtées en croix de saint André (en quartier) signalaient un heureux évènement chez le meunier, que le moulin était au repos, ou le retour au calme dans un conflit militaire ;
- Les ailes en croix grecque (en bout de pied) signalaient que le moulin était prêt à travailler ou appelaient au rassemblement ;
- Inclinées à gauche, position « venante », elles annoncent un heureux événement comme un mariage ou une naissance, ou alertaient d'un danger militaire ;
- Inclinées à droite, elles annonçaient un deuil chez le meunier ou dans le village, ou un danger militaire écarté.
Les ailes étaient toujours orientées vers le lieu de l'événement. (5)
Quand la tour du moulin est peu élevée, la porte d’accès se trouve généralement du côté opposé à la direction des vents dominants, afin de ne pas être gênée par les ailes en rotation. C’est le cas de Moulin Jaouen, dont la porte est au nord-est. Il fallait toutefois être vigilant : Martial Dagorn (1921-2009), petit-fils et petit neveu de Barbe et François Jaouen, en fit l’expérience quand, vers 9 ans, il se fit attraper par les ailes du moulin et projeter en l’air !
C’est l’époque où l’auberge de Marie-Jeanne Bacon fait la renommée culinaire de Malachappe et de Brigneau. La clientèle d’artistes alors en pension à Kergroës et à Kerfany, y vient régulièrement déjeuner. Ils faisaient la navette à travers champs, par « Milin Jaouen ». Certains jours d'été, c'était le défilé des belles tenues sur les chemins. (6)
Le moulin fonctionnera jusque dans les années 1930, tenu par les petits-enfants de Noël Jaouen, Pierre-Louis Cordonner, sa femme Barbe Jaouen et François, le frère de cette dernière. Celui-ci ne se contentait pas de son activité de meunier. Excellent nageur, il allait fréquemment à la nage de Trenez aux Verrès, et, pour corser l’épreuve, s'attachait parfois les pieds. Roger Lanzac, le célèbre animateur de radio et de télévision, aurait cherché à acheter le moulin pour en faire une résidence, mais Joseph Cordonner (1903-1983), fils de Barbe et Pierre-Louis, en a refusé la vente. (7)
La mémoire des anciens, des décennies plus tard, se souvient encore de la présence de Milin Jaouen comme de celle d’un authentique personnage, tant il semblait doté de vie.
Vers 1940. Devant le moulin, est-ce Alfred Scavennec, instituteur à l’école de Kérouze, et ses enfants ?
Une ancienne habitante de Kerouer rapporte que lorsque le repas était prêt, la meunière mettait un linge blanc sur la haie et le meunier savait qu’il pouvait rentrer manger. (8)
En 1943, le moulin est déclaré « bâtiment ruiné ».
Le moulin de Kerjégu, moulin Jaouen, milin Jaouen, moulin de Kerhérou, ou encore moulin de Kerouer était le dernier moulin à vent en activité à Moëlan.
Pierre-Louis Cordonner est décédé en 1946, Barbe Jaouen en 1956.
De nos jours, les cartes IGN mentionnent le « Moulin Jaouen ». Localement, on le connaît aussi sous le nom de « Moulin de Kerouer ». Son appartenance au domaine de Kerjégu semble oubliée.
Ses imposants vestiges se dressent en bordure du chemin qui mène à la station d’épuration de Moëlan. Vigie estropiée au-dessus des pâtures, il parcourt d’un dernier regard le lointain horizon de l’océan. Faisant fi de ses arrogantes amarres de lierre qui semblent l’ancrer au sol, son admirable appareil irrégulier en moellons et pierres plates dégage une prestance qui nous force au respect.
En mai 2020
(1) HOLLOCOU, Pierre et PLOURIN, Jean-Yves. De Quimperlé au port de Pont-Aven, les noms de lieu et leur histoire entre Isole-Laïta et Aven-Volume 2, Quimper : Emgléo Breiz, 2010.
(2) Acte notarié 198, du 30 décembre 1846, Me Le Styr, Pont-Aven.
(3) Acte notarié 44, du 23 avril 1837, Me Audran, Quimperlé acte.
(4) MAC ORLAN, Pierre, Le Chant de l’équipage, Paris : L’Edition française illustrée, 1918.
(5) Wikipédia, article « moulin-à-vent »
(6) Témoignage d’une ancienne employée de Madame Bacon.
(7) Témoignage de Marcel Dagorn, Ménémarzin.
(8) Témoignage de Marie-Thérèse Guillou, Kerouer.
Années |
Propriétaires et meuniers |
1926 (59) |
Pierre Louis Cordonner (1863-1946) et Barbe Jaouen (1865-1956) |
1906 (61) |
Pierre Louis Cordonner (1863-1946) et Barbe Jaouen (1865-1956) |
1886 (50) |
Marie Catherine Cornou (1837-1931) veuve de Julien Jaouen (1828-1870) |
1881 (49) |
Jean Michel Joa (1845-1884) et Marie Josèphe Talboëdec (1854-1930) Occupants mais pas meuniers |
1868 |
Julien Jaouen (1828-1870) et Marie Catherine Cornou (1837-1931) |
1851 (35) |
Propriétaires : Noël Jaouen (1798) et Elisabeth Lamarre (1797-1859) |
1848-1849 |
Démolition du moulin de Kerjégu. Construction du moulin Jaouen. |
Propriétaires : Noël Jaouen (1798) et Elisabeth Lamarre (1797-1859) | |
Renable |
Propriétaire : Thomas Casimir de Mauduit (1786-1852) Meuniers : Yves Bozec (1786-1837) et Marie Thérèse Hervé (1781-1818) |
1836 (59) |
Propriétaire : Thomas Casimir de Mauduit (1786-1852) Meuniers : Yves Bozec (1786-1837) veuf de Marie Thérèse Hervé (1781-1818) |
1831 |
Propriétaire : Thomas Casimir de Mauduit (1786-1852) Meuniers : Yves Bozec (1786-1837) veuf de Marie Thérèse Hervé (1781-1818) |
Propriétaire : Thomas Casimir de Mauduit (1786-1852) | |
Propriétaire : Claude Joachim de la Faudrière du Baudry (1763) Meuniers : Yves Bozec (1786-1837) et Marie Thérèse Hervé (1781-1818) Annulation du bail précédent |
|
01/05/1817 |
Propriétaire : Claude Joachim de la Faudrière du Baudry (1763), neveu du précédent Meuniers : Joseph Marie Colin (1795) et Marie Françoise Fichoux (1799-1822) |
1783 |
Propriétaire : Jean François de la Faudrière (1716-1792) (Meuric) |
Terrier de Kerlouarnec | |
1679 |
François de la Pierre, seigneur des Salles
|
1664 |
Jan de Valleaux, fils de Marie de la Rochère |
Marie de la Rochère, dame de Kerjégu, de Kerlouarnec et de Badel X1 Paul de Valleaux X2 Charles de la Corbière |