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Divers
Vie artistique à Moëlan
Auberges, hôtels, cabarets…
Des rives du Belon au port de Brigneau, 1870-1950
Laurence Penven (juillet 2019)
4 Du Belon à Kergroës 1890-1950
Poursuivons l’itinéraire de Pont-Aven à Clohars. Après avoir pris le bac et débarqué au port de Belon, prenons la route pour Kergroës. Nombreux sont les cabaretiers et débitants dont les établissements bordent la route. Belon, Loge ar Broc’h, Lanriot, Kervasselin, Blorimond, Kergroës : autant de haltes pour s’arrêter prendre un verre, un en-cas, voire une chambre si nécessaire.
Le recensement de population de 1911 mentionne trois débits de boissons à Belon, deux à Lanriot, un à Kervasselin, trois à Kergroës. Un hôtel à Kergroës également.
4.1 Belon
En 1895, le conseil municipal souhaite améliorer la voie d’accès du bourg de Moëlan jusqu’au port de Belon. Les expéditions d’huîtres et de crustacés vers les restaurants parisiens, depuis le vivier de Mathurin Salin, justifient sans doute ce projet. Et ceci va aussi permettre aux estivants du tourisme naissant de découvrir le port, équipé d’une cale depuis 1879.
16 août 1895 (L'Union Agricole et Maritime)
Classement du chemin de grande communication n° 16 jusqu'à la cale de Bélon. - Sur la proposition de M. Orvoën, le conseil émet le voeu que le chemin de grande communication n° 16 de Quimperlé à Moëlan soit continué du bourg de Moëlan à la cale de Bélon, en suivant, à la sortie de Moëlan, le chemin vicinal n° 2 jusqu'à Pont-ar-Quez, et ensuite le chemin vicinal n° 4 de Moëlan à la cale de Bélon.
Le port de Belon, vers 1910
A proximité des cabarets, deux belles villas ou maisons bourgeoises existent dès les années 1890.
L’une, que Mathurin Salin (fils) fait construire en 1892 est louée en 1898 à Henri Empain (1864), ancien instituteur, puis ostréiculteur et passeur.
En 1904, elle est ainsi décrite : « à louer à Belon même une vaste maison propre à tout commerce ou maison bourgeoise, très recherchée par touristes excursionnistes en temps de bains de mer (à proximité de la plage Kerfany, ancien illustre domaine du chanoine Rosenberg, également à louer ou vendre). Il y a aussi remise, magasin, réservoirs et huitrières célèbres de Belon ». (1)
C’est aussi un cabaret, connu sous le nom de « Buvette de la cale ». En 1920, Eugène Canévet, charpentier de marine, achète la maison et les terrains alentours. Il aménage à côté de sa maison un chantier naval dont sortiront plusieurs canots et sardiniers. En 1930, la maison est revendue à deux dentistes d’Orléans, Roger Desbrosses et Henri Cordonnier. Ce dernier a un frère, Paul, artiste-peintre, de la société des Artistes Orléanais, tout comme Maurice Asselin. On lui doit, entre autres, un Couple de bretons avec leur enfant dans leur intérieur. La femme porte le costume de Moëlan.
Paul Cordonnier (1878-1963) Couple de Bretons avec leur enfant dans leur intérieur
Pendant la seconde guerre mondiale, Eugène et Ernestine Quentrec sont gardiens de l’immeuble. Ernestine y tient une buvette jusqu’en 1946, date où la maison devient propriété Delarbre-Mazloum.
L’autre maison bourgeoise, appelée « Villa Belon », est construite par Louis Brunou, maître-menuisier et entrepreneur à Pont-Aven, sur un terrain acheté en 1897. C’est un immeuble de rapport. En 1910, le peintre Emile Jourdan y loue un cabinet à l’étage. Il est encore au Belon en 1912, d’après un article du journal Gil Blas du 3 août :
Paul Cordonnier (1878-1963) - Le Ravaudage des filets
En 1932, la maison est décrite comme comportant quatre grandes pièces, six petites et deux cuisines. Bien des années plus tard, vers 1970, de vedettes du « show-biz » comme Chantal Goya, Jean-Jacques Debout, y descendront ainsi que des artistes participant au tournage du film Les cousins de la Constance.
La « Cabane », café restaurant
Entre ces deux maisons, une cabane, où, à partir de la fin de la seconde guerre mondiale, Ernestine Quentrec, « Titine » tient un bar-restaurant, célèbre par sa cotriade (dont on se souvient encore de nos jours). Des repas de mariage y sont servis. Connue sous le nom de « La Cabane » elle sera démolie après le décès de « Titine », pour laisser place à un nouvel établissement, tenu par ses filles.
En face de la « Buvette de la cale » et de « la Cabane », le cabaret d’Hyppolite le Doze et de sa femme Marie-Joséphine, tenu par Léa Derrien, puis par Simone Morlec (et qui deviendra plus tard le restaurant « la Godille » de Raymonde Charlon). Une photo montre Hyppolite le Doze en compagnie de madame Coreau qui tenait le Café des Pins et madame Liebert qui dirigeait l'hôtel, devant sa voiture. Gageons que les gastronomes de l’entourage de Curnonsky, comme Maurice Asselin et Fernand Jobert surent honorer de leur présence les tables du Belon et de Kerfany, où Mélanie ouvrit un temps le restaurant « les Pins ».
Puis, à côté de l’établissement d’Hippolyte le Doze, c’est la buvette-restaurant de Joseph le Guennec et de sa femme Marie Madeleine Bourhis, jusqu’en 1945.
Quelques peintres au Belon :
Edouard Doigneau (1865–1954), Le Pardon du Belon, 1908 |
Emile Compard (1900-1977), La Rivière du Belon |
André Dauchez, (1870-1948) Port de Belon, rive droite |
Henry-Maurice Cahours (1889-1974), Le Port du Belon |
Gustave Loiseau (1865-1935), La rivière du Bélon - Clair de lune
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Gustave Loiseau (1865-1935) - La rivière du Belon Huile sur toile (66 x 90,2 cm) |
4.2 Fernand Jobert à Belon (1913-1949)
L’artiste-peintre Fernand Jobert, lorsqu’il achète des terrains à Belon à partir de 1913, connaît bien l’endroit. Locataire à Belon depuis un moment, il s’est fait aussi des amis peintres à Pont-Aven. Il est descendu quelques années auparavant à l’auberge de Kergroës, et a peut-être été accueilli chez Marie Henry. Il peint La Côte à Kerfany dès 1908, La Rivière du Belon en 1909 et 1911 et des Bateaux devant la cale de Belon en 1911.
Mais c’est surtout après la guerre et sa démobilisation en 1919 que Fernand Jobert va séjourner plus longuement à Moëlan et faire de sa propriété des bords du Belon le point de ralliement de tous ses amis peintres, écrivains, artistes en tout genre. La maison est devenue trop exigüe pour accueillir tout ce monde. Vers 1920, Fernand Jobert achète à M. de Solminihac de Riec, une maison en bordure de route. Il en confie des travaux de réhabilitation à Jacques Germain (1889-1978), un architecte qui fréquente également les rives du Belon et dont la femme Berthe Germain-Plouard (1902-1966) est peintre elle aussi. Il dessine en outre les plans de deux nouvelles maisons en bordure de rivière, l’une que Fernand Jobert va faire construire un peu à l'écart de la maison d’origine, pour réunir ensuite les deux maisons par une galerie couverte en terrasse. L’autre étant l’extension de l’ancienne maison. Il installe son atelier à l'étage de la nouvelle maison, avec une grande verrière côté rivière.
La vie est agréable chez Fernand Jobert, qui, pour assurer l’accueil de ses amis, emploie plusieurs domestiques. Ainsi en 1921, ils sont quatre, dont Ernestine Lijour ( future « Titine » de « La Cabane ») et trois autres jeunes gens de Lanriot, Louis, Françoise et Elisabeth Robin.
Ont ainsi séjourné chez Fernand Jobert : les peintres Maurice Asselin (1882-1947), Emile Jourdan (1860-1931), Jean Puy (1876-1960), Pierre-Eugène Clairin (1897-1980) (« Marins au pardon de Lanriot », «Le coup de senne sur le Belon », lithographies) , Achille Richard (1895-1962), le gastronome Curnonsky (1872-1956), le compositeur Tony Aubin (1907-1981), les écrivains Francis Carco (1886-1958), Pierre Mac Orlan (1882-1970), Roland Dorgelès (1885-1973), Liam O’Flaherty (1896-1984), le couturier Paul Poiret (1879-1944) et aussi le Docteur Albert Barnes (1872-1951) qui descendait chez « Tante Jeanne » à Port Manech.
Pierre-Eugène Clairin, Le coup de senne sur le Belon |
Jean Puy, Vue de Belon, 1946 |
En 1940, la femme et les enfants de Pierre Eugène Clairin se réfugient chez Fernand Jobert, à Belon.
Après son décès, sa fille Marie-Dominique vend la propriété à Robert Falize, joaillier parisien. Son oncle Pierre Falize (1875-1953), joaillier mais aussi peintre et graveur, qui était venu dans la région dans les années 1920, nous a laissé une affiche, commandée vers 1930 par la maison Prunier qui avait des viviers à Beg-Porz.
4.3 Chez Vincent Haslé
A côté de chez Fernand Jobert, la maison du douanier Vincent Haslé, qui fait aussi pension. Les peintres y descendent, y laissent des huiles, décorent une porte... Jacques Vaillant y fait le portrait d'un moëlanais.
4.4 Loge ar Broc'h
L’arrêt suivant en remontant du port est le lieu-dit « Loge an Broc’h » (broc’h = blaireau), sur la droite du chemin, après le premier virage. La maison située là est achetée en 1895 par Louis Brunou, louée à Joseph Simon, en 1910 et enfin, en 1913 à Louis Christien, menuisier et charron, et à sa femme Marie Le Bris. C’est un débit de boissons et une forge.
4.5 Lanriot
Prochaine halte, les cabarets de Lanriot. Celui de Marie-Josèphe Robin, épouse de François Le Bourhis et celui connu sous le nom de « chez Le Gac ». Jusqu'au début des années 30 c’est une auberge qui fait pension et qui est tenue par le couple Jean Le Gac et Marie-Anne Andréo.
Jacques Vaillant (1879-1933), Emile Jourdan (1860-1931), Anselmo Bucci (1887-1955) y sont passés.
Au Salon d’Automne de 1905, Jacques Vaillant expose Retour de pêche chez Le Gac. Il fait partie des habitués de l’auberge.
L’établissement est situé juste en face de la chapelle Notre-Dame de Lanriot. Le site séduit les peintres. Emile Jourdan y fait son premier séjour en 1894. On l’imagine sur le motif, la nuit, brossant la « chapelle au clair de lune ». Appréciant la cuisine de Marie-Anne Andréo, il y attrape le surnom de « cha qui draou » (celui qui avale tout) (2)
Lors de son séjour de 1913 à Moëlan, l’italien Anselmo Bucci, en pension peut-être à Kersell, va saisir dans son carnet de croquis des scènes de la vie quotidienne au Belon, à Kerfany, et aussi, lors d’un passage chez le Gac le 20 septembre, en dessiner la salle.
"Chez Le Gac" |
Anselmo Bucci, Chez le Gac, 1913 |
Quelques années plus tard, en 1923, Jean-Emile Laboureur (1877-1943) fait une gravure de La Chapelle de Lanriot.
4.6 Kervasselin (Kersell)
En 1901 le recensement de population fait état d’un débit de boissons à Kersell : celui de Jean Marie Derrien et de son épouse Marie Yvonne Cadoret ; en 1906, celui de Guillaume Philippon et de son épouse Marie-Louise Hétet ; en 1911, celui de Jean Marie Guilloré et de son épouse Marie-Louise Scaviner.
Et il y a aussi le boulanger Alain Calvez, dont l’épouse Marie-Renée Quentel est boulangère, mais aussi débitante. L’auberge s’appelle Beg-Lann, puis plus-tard « quatre-vents », et puis « Toul Tallec » (3). On peut y louer une chambre. Le 30 août 1913, Anselmo Bucci note rapidement dans son carnet de croquis « Route de Kerfany, Boulanger ». Le 2 octobre, lors d’une rencontre avec Paul Poiret à Merrien, il note « écrire à la boulangerie ». Serait-ce chez Calvez ?
Le successeur d’Alain Calvez est Yves Salin (1898-1967). En 1931, un incendie dévaste la boulangerie qui est reconstruite en 1932, par des maçons italiens. En 1958 le commerce est vendu à M. Fouillard qui y tient un café, épicerie, boulangerie. Il fait aménager onze chambres louées aux touristes l’été. Cette tradition de location de chambres va perdurer jusque dans les années 1980.
La maison est depuis 1995 une galerie consacrée à l’art singulier (« Maison 1932 »), propriété du peintre Bernard Jund et de sa femme, Françoise Casanova, galeriste.
4.7 Blorimond
Un peu avant la première guerre mondiale, Emile Philippon ouvre une auberge à Blorimond.
L’été 1914, Pierre Mac Orlan habitait « une maisonnette située dans l’intérieur des terres, près de Kergoës. (sic) Un de [ses] amis, architecte à l'École des beaux-arts, possédait une chambre dans cette maison. Un matin il reçut une lettre de sa mère ; il nous la montra pour lever nos doutes. Cette belle Française écrivait : « Mon enfant, il est temps de rentrer. Tu trouveras ton uniforme déplié sur ton lit...» (4)
Nous savons que Jacques Germain (1889-1978) était venu passer des vacances à la pension Philippon avec des camarades d’études de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris avant d’acquérir vers 1925 un terrain à « Pentouland », en contrebas de Blorimond, où il fait construire une maison. Jacques Germain fera plus tard les plans d’une des maisons de Fernand Jobert à Belon, de la villa témoin du lotissement de Kerfany, de la « Lanterne des morts » à Kerfany…
Pierre Mac Orlan et Jacques Germain se seraient-ils retrouvés dans la même auberge en 1914 ?
La femme de Jacques Germain, Berthe Plouard est peintre, amie d’Emile Jourdan, qu’elle a rencontré à Pont-Aven, et de Clémence Molliet (1855-1938) et Alberto Souza Pinto (1861-1928), qui ont fait construire une maison à Kerduel en 1914.
Etienne Noël (1885-1964), venu à Moëlan avec ses amis de Montmartre en 1912, Jean Rubzack (1882-1942) qui se promène aussi dans les parages à cette époque, peignent l’anse de Lanriot vue depuis les hauteurs de Blorimond. Berthe Germain-Plouard, quant à elle, profite du point de vue depuis son jardin.
Etienne Noël, Le Belon, 1912 |
Jan Rubczack (1882-1942) Paysage de Bretagne - 1916 Huile sur toile (60 x 81 cm) |
Berthe Germain-Plouard L’anse de Lanriot vue de Pentouland |
Entre les deux guerres, vers 1930, deux caricaturistes et affichistes parisiens, Jean Chaperon (1887-1969) et Roger Cartier (1893-1971) viennent séjourner à l’auberge. Ils dessinent une frise sur les murs de la salle qui représente des scènes de la vie locale, comme une gardienne de vache, une paysanne et son fagot de bois, ou des paysages et monuments comme la plage de Kerfany, la chapelle Saint Philibert. Le bateau d’Emile Philippon, « Larbin », construit en 1922 figure en bonne place sur la frise.
Une petite annonce parue dans Paris-soir du 19 août 1934 vante la cuisine de la pension.
Enfin, la dernière halte avant Kergroës est le « Retour du Belon », un temps appelé « Au retour de la plage » et, plus récemment, « Le Blorimond », ou « le Kerfany», l’ hôtel-restaurant Bellec, dont les portes ne se sont fermées qu’en 2017 et qui accueillit par exemple dans les années 1980-90 Jean Carmet, Pierre Tchernia, quand ils tournaient le film, « Un chien dans un jeu de quilles ».
L’hôtel-restaurant dans les années 1960
(1) Le Nouvelliste du Morbihan, 11 février 1904.
(2) MC Colliou-Guermeur « Terres et gens du Belon » 2003, p.236.
(3) Marcel Brochard, Kerfany d’autrefois, 1964 , non édité.
(4) Pierre Mac Orlan, « Les Poissons morts », Payot, 1917, p.13-14.