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Divers
Vie artistique à Moëlan
Auberges, hôtels, cabarets…
Des rives du Belon au port de Brigneau, 1870-1950
Laurence Penven (septembre 2019)
5 Kergroës
5.1 L’auberge de Marie Lepage et l’hôtel des Bruyères
Vers 1875, Mathurin Salin (1831-1900), préalablement cabaretier à Kerroc’h, s’installe au carrefour de Kergroës et y ouvre un cabaret. A partir de 1891, c’est son fils Louis qui y est boulanger, avec sa femme. C’est l’époque où l’établissement devient une auberge. Mathurin Salin la fait inscrire à l’Annuaire des châteaux et des départements de 1897 à 1899, ce qui contribue à sa notoriété nationale. Plusieurs artistes des académies parisiennes vont en faire leur lieu de séjour estival.
En effet, Kergroës et Kerfany sont devenues deux destinations en tant que telles, et ne sont plus seulement des lieux de passage entre Pont-Aven et Le Pouldu ou Doëlan. La réputation de Moëlan auprès des peintres est en pleine croissance. Ses paysages attirent désormais les artistes, tout autant que ceux de Pont-Aven ou du Pouldu. On y vient aussi chercher le calme. C’est ainsi qu’en 1903 Ludovic-Rodo Pissaro (1878-1952) choisit de venir à l’auberge de Kergroës à propos de laquelle il écrit : A Kergroës on dort mal et on ne mange pas bien, mais on travaille mieux qu’à Pont-Aven car c’est beaucoup plus joli et moins rempli de gens embêtants (1). En 1903 également, et pendant quelques années, le peintre Polonais Waclaw Zaboclicki séjourne à Kergroës.
A partir de cette même année, la mise en service de la voie ferrée Quimperlé-Concarneau va modifier quelque peu l’itinéraire des déplacements :un nouvel axe de communication vient concurrencer le passage par le Belon, et l’on peut désormais prendre le train à Montparnasse, descendre à Quimperlé, puis prendre le petit train à voie étroite jusqu’à Moëlan. La liaison depuis la gare de Moëlan se fait par charrette.
L’auberge est tenue par deux gérantes, préalablement hôtelières au bourg de Moëlan, rue de la mairie : Marie Basu et Marie Lepage, sa belle-fille.
L’été 1904, ce sont Georges Braque (1882-1963) et Jacques Vaillant qui descendent chez Marie Lepage. Braque est venu en vacances avec sa maîtresse, Paulette Philippi, égérie des peintres de Montparnasse, et qui y tenait un salon à opium. Braque nomme l’été passé à Kergroës l’été du luxe, calme et volupté (2). Est-ce par allusion à Baudelaire et aux Fleurs du mal, ou à Henri Matisse qui réalise cette même année une peinture à laquelle il donne ce titre ? Toujours est-il qu’à la suite de ce séjour où il dispose de tout ce qu’un homme peut désirer : femme, boisson, tabac, y compris l’opium (3), Braque va détruire toute sa production estivale, à l’exception du portrait d’une Fillette bretonne et qu’il va quitter l’académie Humbert pour suivre le sillage des Fauves avant d’élaborer quelques années plus tard avec Picasso la théorie du cubisme.
En 1905, Jacques Vaillant est à nouveau chez Marie Lepage, mais aussi Maurice Asselin (1882-1947) et à nouveau Ludovic-Rodo Pissaro.
L’auberge est située au sud-ouest du carrefour de Kergroës, sur une parcelle en bordure de la route qui mène à Kerroch. Un terrain planté d’arbres et clos de murs, de l’autre côté du carrefour, fait partie de la propriété.
Asselin, à propos de sa rencontre avec Jacques Vaillant, décrit ainsi l’auberge :
Nous nous rencontrâmes en 1905. C’était dans une curieuse auberge du Finistère : Kergroës-en Moëlan est maintenant un hameau, presque un village ; ce n’était à cette époque qu’une longue bâtisse isolée, étendue près d’un carrefour, sur la lande proche de l’Océan. On eût dit un vaisseau retourné, la quille en l’air, amené là par quelque raz de marée. Nous y vivions comme en pays conquis et notre hôtesse, Marie Lepage, pleurait quelquefois de nos farces. Jacques s’installait alors dans les débits ou les vergers du voisinage et peignait des tableaux à plusieurs personnages, toiles en général bien vivantes et brossées avec verve, d’une pâte généreuse et colorée. (4)
Braque, « Fillette bretonne », 1904
D’autres artistes, pour la plupart amis de Maurice Asselin, devinrent des habitués de l’auberge, se fixèrent à Kergvez (sic) (5). On peut citer le caricaturiste Ricardo Florès (1878-1918), le peintre allemand Ernest Kammerer (1880-), Fernand Jobert, avant qu’il n’achète au port de Belon, ainsi que Fernand Morin (1878-1937) et son ami André Jolly (1882-1969), avant qu’il ne se fixe à Névez.
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Fernand Morin, « Clair de lune au Belon » |
Ricardo Florès |
C’est peut-être aussi à l’auberge de Kergroës que le peintre polonais Henri Hayden (1883-1970) fit la connaissance de Maurice Asselin. (6)
Emile Jourdan est pensionnaire de l’auberge en 1906.
En 1908, Louis Salin fait passer une petite annonce dans la presse. L’auberge est devenue hôtel.
24 juin 1908 (L'Union Agricole et Maritime)
A louer ou à vendre. Une maison connue sous le nom de Hôtel de Kergroës, en Moëlan, avec un beau jardin bien planté et clos de mur, contenance 40 ares, et sept autres parcelles de très bonnes terres bien placées pour construire. Le tout situé à proximité de Kerfany, de Trénez et de Saint-Pierre.
Entrée en jouissance à la Saint-Michel prochaine.
Pour visiter s'adresser à Mme Le Page actuellement locataire et pour traiter à M. Louis Salin, à Bélon, en Moëlan.
Marie Lepage va quitter l’hôtel pour prendre la gérance de la pension de Kerfany, appartenant à Yves Salin, frère de Louis.
Les villages alentours, Kerhuel, Kermen, Trénez, inspirent les peintres en pension à l’hôtel. Ainsi, au salon des Indépendants de 1908, Madame Fey, expose Kerhuel en Moëlan, Jeune fille de Kerhermain, Enfants de Moëlan, et Louise Lollichon. Deux Moëlanaises ont pu servir de modèle à l'artiste :
Anne Louise Lollichon, née à Kerhuel en 1873 ou Marie Louise Lollichon, née à Kerhermen en 1877.
De même, Alexandre Chantron (1842-1918), en 1907 et 1910, fait quelques portraits de jeunes Bretonnes de Moëlan ainsi qu’un Paysage au bord de mer où l’on reconnaît la plage de Trénez.
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Alexandre Chantron Profil de jeune Bretonne de Moëlan |
Alexandre Chantron Jeune moissonneuse de Moëlan Huile sur toile (100 x 62 cm) |
Alexandre Chantron Paysage de bord de mer |
En décembre 1909, un incendie se déclare à l’hôtel, géré alors par Thérèse Quentel, veuve Robin qui y tenait aussi une mercerie.
Jean-Marie Salin, un autre frère de Louis, devient propriétaire de l’hôtel de Kergroës en 1911 et installe Thérèse Quentel et son mari Joseph Drénou en tant que gérants. Un maître d’hôtel est engagé aussi. Les peintres Clémence Molliet (1855-1938) et son mari Alberto Souza-Pinto (1861-1928) prennent pension à l’hôtel vers 1910. Le couple fera ensuite construire à Kerduel.
En 1913, Etienne Noël peint le village de Kerdoualen.
Etienne Noël, Kerdoualen
Malheureusement, un nouvel incendie détruit l’hôtel en avril 1913. Il n’en reste que des décombres.
Sur le terrain en face de l’ancienne auberge, beau jardin bien planté et clos de mur, de l’autre côté de la route, un nouvel hôtel est construit. C’est l’Hôtel des bruyères, que les époux Drénou tiendront jusqu’à la seconde guerre mondiale. En 1915, à peine achevé, l’hôtel est réquisitionné par la sous-préfecture pour en faire un camp d’internement pour « femmes douteuses ». L’aventure dure dix mois.
Les peintres continuent à fréquenter Kergroës. En 1915, la ville de Paris achète « La cueillette de pommes de terre, Kergroës (Finistère) » du peintre vannetais Louis Ridel (1866-1937).
En juillet 1918, le peintre Edouard Henry-Baudot (1871-1953) séjourne à l’hôtel.
Edouard Henry-Baudot, Chemin de la ria à Moëlan, aquarelle, 1918
Les pensionnaires de chez Thérèse Quentel comptent aussi, pendant les étés des années 1920, des professeurs des lycées parisiens Henry IV et Charlemagne, qui aiment se retrouver sur la plage de Kerfany.
L’hôtel des Bruyères en 1926, Collection Laurent-Nel, Rennes (les pensionnaires sont attablés en plein air)
La renommée de l’hôtel des Bruyères dure longtemps dans le milieu des artistes. Elle franchit même l'Atlantique ! Témoin cette petite annonce qui paraît le 24 juillet 192 dans The Chicago tribune and the Daily news (New York).
Mais, en octobre 1933 un violent incendie détruit complètement l’hôtel, dont il ne va rester que les quatre murs. L’hôtel possédait alors une vingtaine de chambres, un superbe café et une grande salle de noces artistiquement décorée par un artiste parisien, quelques années à peine avant le sinistre. Tout disparaît dans le brasier.
L’hôtel est reconstruit. En 1939, une petite annonce parue dans l’Intransigeant du 30 juin 1939 propose des « prix spéciaux pour artistes peintres »
Puis l’hôtel va être réquisitionné par les Allemands durant la seconde guerre mondiale.
L'activité redémarre après la guerre. En mai 1948, une petite annonce paraît dans le journal Décollage, le magazine de l'aviation mondiale."
Acheté peu de temps après par le diocèse, l’immeuble devient l'école Notre-Dame de Lanriot de 1950 à 1990.
5.2 L’établissement de Raphaël Philippon
Le débit de boissons Philippon à gauche l’hôtel Drenou au milieu et le commerce Robin-Fouesnant à droite
Au sud du carrefour, en 1901, Louis Brunou, menuisier et hôtelier à Pont-Aven, achète un terrain sur lequel il fait construire une maison qui sera louée en partie jusqu’en 1914 à Martial Dagorn, marin, mais aussi débitant, et en partie à Raphaël Philippon. Ce dernier se portera acquéreur de la maison. Outre le débit de boissons, l’immeuble va abriter aussi une cabine téléphonique et être une annexe du bureau des postes. (On distingue l’enseigne des Postes sur la carte postale ci-dessus, ainsi qu’une enseigne publicitaire pour cycles « Automoto »)
Raphaël Philippon aura aussi un taxi.
Raphaël Philippon et son taxi.
(1) Ludovic-Rodolphe Pissaro, Lettre à son père, in Philippe le Stum, la gravure sur bois en Bretagne 1850-2000, Coop-Breizh, p.304.
(2) Alex Danchev, Georges Braque : a life, Arcade Publishing, 2005.
(3) Idem.
(4) Maurice Asselin, in Paris-Soir, 29 juin 1936 .
(5) André Warnod, in Comoedia, 14 octobre 1913.
(6) Philippe Le Stum, in Ar Men, N° 142.