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Divers
Vie artistique à Moëlan
(1859 Moëlan - 1945 Pierrefeu-du-Var)
Laurence Penven (février 2025)
1ere partie
1 - 1859-1887 : Moëlan et Quimperlé
Marie Jeanne Henry nait le 25 janvier 1859 au bourg de Moëlan. Sa maison natale, située rue du Cimetière (actuellement rue de l’Eglise), appartient à Jean Marie Sellin, cabaretier. Les parents de Marie Jeanne, Philibert Henry (1822-1866) et sa femme Marie Anne Daniel (1820-1865) en sont locataires depuis quatre mois [Acte Barbe 1857-382]. Selon les recensements de population de 1856 et 1861, Philibert Henry est cabaretier et boucher. Auparavant, en 1851, il était valet dans la maison voisine, chez Yves Caëric, lui aussi cabaretier, boucher, et encore boulanger.
Février 1906 ; la maison sera démolie puis reconstruite. Actuellement c’est une boulangerie (anciennement Gouyec).
Marie Jeanne a un frère, Julien, né en 1853. Comme dans la plupart des foyers modestes de Moëlan, Julien est embarqué en tant que mousse dès l’âge de 12 ans pour « faire la saison » sur un bateau de pêche.
Le 27 décembre 1865, Marie Anne Daniel meurt. Philibert Henry se remarie le 21 février 1866 avec Marie Louise Glérin. Un subrogé-tuteur est nommé par le conseil de famille le 3 mars 1866. Il s’agit de Joseph Guillou (1832-1881), un cousin au second degré des enfants mineurs. Il est charretier et cabaretier rue Mellac à Quimperlé. [Tutelle 1866-56]
Philibert Henry décède à son tour le 24 août de la même année. Joseph Guillou devient le tuteur institué de Julien, 13 ans, et de Marie Jeanne Henry, 7 ans, alors qu’un cousin, Antoine Henry, est nommé subrogé-tuteur. [Tutelle 1866-180]. La vente, en octobre 1866, de tous les meubles meublants, objets et effets mobiliers et autres dépendant de la communauté entre feu Philibert Héry ou Henri et Marie Louise Gléren, son épouse rapporte 1 423,10 francs [Acte Barbe 1866-314] (1). Julien continue à faire les saisons estivales de pêche en tant que mousse, puis novice (2). En 1872, il est valet à la ferme de Kerandrège, puis, à partir de 1876, il est marin pêcheur et cultivateur, et habite à Keryoualen Izel avec sa femme, Michelle Le Delliou, cultivatrice.
Après le décès de son père, Marie Jeanne Henry serait mise en pension à Quimperlé, chez les Ursulines (3) (Communauté des filles de Sainte-Ursule en France, ou congrégation des Ursulines. Leur quatrième vœu est de se consacrer à l’enseignement des jeunes filles.)
Les Ursulines arrivent en basse-ville à Quimperlé en 1652, puis se déplacent en haute-ville, au Bel-Air. Le couvent, après avoir été vendu comme bien national en 1793, leur est restitué vers 1800. Jusqu’en 1895, les bâtiments ne cesseront d’être agrandis. En 1907, en application de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, le couvent devient une école élémentaire et supérieure pour filles (4).
Le montant du prix de la pension est variable, selon la condition sociale des pensionnaires. Sont aussi accueillies les petites filles indigentes, dont fait sans doute partie Marie Henry.
Le pensionnat des Ursulines : Le bâtiment à gauche date de 1865, celui du fond de 1888. (5)
De ses années de pensionnat, elle ne conserverait pas un très bon souvenir (6). Toutefois, elle y bénéficie d’une instruction (7) que ne reçoivent pas la plupart des jeunes filles moëlanaises de son milieu : outre le calcul, la lecture et l’écriture, elle y acquiert aussi une éducation lui permettant de tenir une maison. Les travaux d’aiguille y ont une place importante.
Curieusement, le nom de Marie Henry ne figure pas dans la liste des pensionnaires de l’établissement, recensées en 1872. Aurait-elle déjà quitté l’établissement ? Dès leurs 10-11 ans, beaucoup de fillettes sont déjà servantes dans les fermes ou commerces. Mais d’après sa petite-fille (8), elle quitterait le pensionnat vers 1877, alors âgée de 18 ans.
Cette même année 1877, Joseph Guillou rend son compte de tutelle à son frère, Julien Henry ; le reliquat de 498,05 francs correspond à la moitié de l’héritage des parents (9). On peut penser que l’autre moitié sera versée à sa sœur à sa majorité en 1880.
D’après Ida Cochennec (10), Marie Henry aurait été employée à Paris comme femme de chambre dans une grande maison dont on ne sait rien, sinon qu’elle était pleine de domestiques, dont plusieurs noirs (11), jusqu’en 1886 ou 1887. Dates contradictoires avec celles des recensements de population de Quimperlé. (Voir ci-dessous).
Léon Palaux (12) croit savoir qu’à sa sortie du pensionnat, Marie Henry reste à Quimperlé où elle serait d’abord placée comme domestique chez un certain M. Péron. Il s’agit sans doute de Sylvain Peyron, rentier (13), place du duc de Bordeaux (actuelle place Hervo). Marie Henry atteint sa majorité en 1880. En 1881, elle est « factrice » (employée de commerce) chez Joseph Olgiati, qui tient une pâtisserie, commerce de vins fins et de faïence bretonne de Quimper, rue Isole, à deux pas de chez Sylvain Peyron. Son tuteur, Joseph Guillou, décède la même année.
Quelques années plus tard, en 1886, Marie Henry est couturière et habite dans un immeuble de la place Hervo, toujours au cœur de la basse-ville de Quimperlé (14). Est-ce de cette époque que date son surnom de « Marie Poupée » ? D’après Yvonne Salin (1893-1966), épouse de Corentin Le Bourhis et voisine de Marie Henry quand elle habitera plus tard au Clec’h Burtul à Moëlan, le surnom de « Poupée » serait dû au fait qu’elle était couturière à Quimperlé et qu’elle fabriquait des poupées. (15)
C’est vraisemblablement au cours de ces années quimperloises que Marie Henry rencontre un jeune homme nommé Bodélio, d’une riche famille de la région (16), avec lequel elle aurait une liaison.
Laurent Louis Bodélio, né en 1860 à Calcutta, arrive à Quimperlé avec sa mère après le décès de son père en 1870. Ce dernier était négociant à Calcutta, puis exportateur pour les Indes orientales à Paris, et enfin à Pau. Son grand-père, Hyacinthe Bodélio, était chirurgien de marine. Son arrière-grand-père était Vincent Bosc. Laurent Louis Bodélio est apparenté à Sylvain Peyron. A 12 ans, il vit avec sa mère, trois domestiques et un précepteur. De santé fragile, il est par deux fois ajourné par le conseil de révision, pour faiblesse générale en 1881 et 1882. A 26 ans, il est propriétaire d’une maison de maître place Nationale (actuelle place Charles de Gaulle). (17)
Maison où habitait Laurent Louis Bodélio en 1886.
Le parcours quimperlois de Marie Henry et les relations qu’elle y a nouées lui ont ouvert des perspectives ambitieuses. Elle bâtit alors un projet audacieux :
Le 28 juin 1886, elle achète pour 350 francs un terrain de 70 m² aux dépendances du village de Keranquernat, en Clohars-Carnoët. Le 12 octobre de la même année, Georges Vergès, architecte au Bourgneuf à Quimperlé, dresse pour Mademoiselle Marie Henry, propriétaire, les plans d’une « maison-restaurant » au Pouldu.
Plan de la maison par Georges Vergès, architecte, Quimperlé, 12 octobre 1886, photo dossier Marie Henry, musée de Pont-Aven.
Avoir recours à un architecte est une démarche qui relève alors d’un certain niveau social et n’est pas coutumière chez les personnes de condition modeste. Le projet de restaurant prévoit deux salles à manger et une cuisine en rez-de-chaussée, deux chambres et un cabinet à l’étage, plus une écurie en appentis de la maison. Il s’agit d’un plan de maison bourgeoise, comme en témoigne la présence d’un cabinet de toilette.
Ce plan initial sera modifié ultérieurement pour augmenter le nombre de chambres en divisant l’une d’elles en deux ; la petite salle à manger deviendra la partie café ou buvette ; un bâtiment en rez-de-chaussée, comprenant la cuisine et une courette, sera adjoint.
Un an après la première acquisition de terrain, le 29 août 1887, Marie Henry complète sa propriété par l’achat pour 110 francs, d’un second terrain de 22 m², contigu au premier. Ces deux terrains, sur la « Palud Keranquernat » sont situés en bordure d’un chemin qui mène du carrefour de Keranquernat aux Grands Sables, dunes qui surplombent l’endroit où les paysans ont l’habitude de récolter le goëmon et d’extraire du sable. Ce chemin vient d’être tracé à travers les landes et les dunes pour faciliter le passage des charrettes. Les délaissés de chaque côté sont mis en vente, propices à la construction des premières villas.
Le coin est désert ; deux maisons sont construites en bordure de côte : en surplomb de la plage des Grands Sables, celle d’Henri Louis Froidevaux, notaire à Quimperlé, (La « maison isolée » ou « maison du Pen-du ») et, tout juste achevé, l’immeuble de rapport (« villa Castel Treaz »), d’Henri de Mauduit, papetier à Kérisole, Quimperlé.
Sur la crête d’une haute falaise sablonneuse, dominant la mer, à deux kilomètres environ du village du Pouldu (Finistère), écrit Maxime Maufra,[se trouve] une petite auberge au bord de la route qui mène à l’océan. [...] Sans voisinage : juste la terre et la mer [...], une maison bretonne ordinaire et moderne, qui ressemblait à n’importe quelle autre. (18) |
Paul Gauguin, Les Ramasseuses de varech, décembre 1889 ou début 1890, huile sur carton, 14 x 17 cm.
Tokyo, Galeries Fujikawa. (Ancienne collection Henri Mothéré puis Marie Henry, vente Barbazanges juin 1919).
Paul Gauguin, La Maison du Pendu, c.1889-90. Gouache et aquarelle sur carton marouflé sur carton 27 x 34,7 cm.
Ottawa, Collection VKS Art. (Ancienne collection Marie Henry, vente Barbazanges juin 1919).
Charles Filiger, La Maison du Pen-du, paysage parabolique, gouache sur carton, 25 x 37,5 cm.
Collection Daniel Malingue. (Ancienne collection Henri Mothéré puis famille Marie Henry).
Pourquoi Marie Henry a-t-elle décidé de mener à bien ce projet ? Un conseil d’une personne bien informée ? De l’intuition ? Sans doute n’avait-elle à Quimperlé aucune perspective de promotion sociale, malgré sa liaison avec un riche bourgeois mais avec lequel un mariage n’était pas envisageable. Tenir un restaurant, qui plus est en être la propriétaire, était une belle solution, particulièrement au Pouldu. En effet, le Pouldu est en train de se développer et de devenir une station balnéaire (19) appréciée par les notables quimperlois, dont plusieurs y ont déjà fait construire une villa. Le peintre Henry Moret descend au port du Bas-Pouldu depuis quelques années déjà. La Compagnie d’Orléans met en place l’été, à l’intention des touristes, un service de voiture à cheval entre la gare de Quimperlé et Le Pouldu.
Il est permis de se poser la question du financement de cette construction. Marie Henry a-t ’elle pu l’assurer seule ?
[à suivre]
(1) 1 franc 1860 = 1,99 € (?).
(2) Etat des services au syndic des gens de mer, 1865-1871.
(3) Témoignage de sa petite-fille, Savine Lollichon, Archives de la Maison-Musée Gauguin, Clohars-Carnoët.
(4) L’ancien couvent des Ursulines de Quimperlé, Wikipédia [En ligne] [consulté le 20 janvier 2025]. Disponible sur Wikipédia.
(5) LETENNEUR Véronique, Le Couvent des Ursulines de Quimperlé. Rennes, Mémoire de maîtrise, 1992.
(6) Témoignage de Savine Lollichon.
(7) L’instruction ne sera obligatoire qu’en 1882 : Loi Jules Ferry de mars 1882.
(8) Témoignage de Savine Lollichon.
(9) Compte de tutelle 1877-50.
(10) Deuxième fille de Marie Henry. Entretien à René Guyot.
(11) GUYOT René, Qui était Marie Henry, in Le Chemin de Gauguin, genèse et rayonnement. Saint-Germain-en-Laye : musée du Prieuré, 1985. pp. 114-127.
(12) PALAUX Léon, Le Peintre Paul Gauguin et ses amis au Pouldu. Les Cahiers de l’Iroise, 4ème trimestre 1967, pp. 219-227.
(13) Sylvain Peyron (1802-1883), négociant en bois, petit-fils de Vincent Bosc (1731-1812), chirurgien, maire de Quimperlé.
(14) Recensement de population de Quimperlé, 1881 et 1886.
(15) SALIN Yvonne, Histoire de Kerfany. Témoignage inédit à Geneviève Terrier-Brochard, fin années 1950.
(16) GUYOT René, LAFFAY Albert, Sur les traces de Gauguin au Pouldu, in DELOUCHE Denise, Pont-Aven et ses peintres, à propos d’un centenaire. Rennes : P.U.R, (Collection « Arts de l’Ouest ») 1986. pp. 201-209.
(17) Recensement de population de Quimperlé 1886.
(18) MAUFRA Maxime, Souvenirs de Pont-Aven et du Pouldu, Bulletin des Amis du Musée de Rennes Numéro spécial « Pont-Aven », n° 11. 2 (Été 1978), pp. 22-23.
(19) Le Pouldu a été répertorié « station balnéaire » dans le Guide Joanne en 1883.